Cela fait plusieurs années que la discipline est en pointe pour ausculter les praticiens qui s'y investissent. Entre avril et juin 2018, 3 699 des 6 210 anesthésistes et réanimateurs travaillant dans le public et dans le privé ont ainsi accepté de répondre à une étude sur leur sommeil comprenant 50 questions reparties en 4 grandes parties (personnelles, exercice, habitudes de vie, qualité du sommeil). Le travail qui a été réalisé par Florian Robin (Bordeaux) et coll. sur les 2 483 données exploitables donne une photographie – inquiétante – de la dette de sommeil de la majorité de cette catégorie de médecin qui travaille en horaires prolongés.
Alors que la durée moyenne de sommeil recommandée est de 7 heures au minimum, 61,7 % des répondants ont expliqué dormir moins. Ils étaient même 57,4 % à affirmer n’avoir que moins de 6 heures de sommeil par nuit. Comme l’explique le Dr Florian Robin au « Quotidien », « ces chiffres doivent être pris en compte en particulier par les médecins du travail, car en deçà de 7 heures de sommeil par nuit, il a été prouvé que les capacités psychiques sont altérées (irritabilité, baisse de la vigilance, relations sociales altérées) et que le risque de morbidité (diabète, hypertension, maladies cardio-vasculaires, obésité…) et de mortalité augmente ».
Un profil type de professionnels à risque
Qui sont les anesthésistes et réanimateurs dont le sommeil est le plus affecté par leur travail ? Avant tout, les plus âgés puisqu’en moyenne les plus de 65 ans inclus dans l’étude déclaraient dormir 5 h 59 par nuit (contre 7 h 26 dans la population française de plus de 65 ans). Cette dette de sommeil par rapport aux témoins a été retrouvée dans toutes les tranches d’âge : 6 h 23 pour les moins de 35 ans (contre 7 h 14 pour les comparateurs), 6 h 17 pour les 35-44 ans (contre 7 h 02), 6 h 08 pour les 45-54 ans (contre 6 h 52) et 6 h 06 pour les 55-64 ans (contre 7 h 09).
Outre l’âge, le fait d’être de garde ou d’astreinte plus de 5 fois par mois influe aussi négativement sur la durée du sommeil (OR : 1,41), tout comme le tabagisme actif (OR : 1,37), le manque d’exercice physique (OR : 0,85 en comparaison avec l’exercice hebdomadaire recommandé par l’OMS) et surtout l’utilisation des écrans avant de se coucher (OR : 1,85). En revanche, la consommation d’alcool -37,5 % moins d’une fois par semaine, 44 % une à deux fois par semaine et 28,4 % plus de 3 fois par semaine — ne semble pas influer pas sur le sommeil. C’est aussi le cas du cannabis. « Travailler plus de 5 nuits par mois contribue à désynchroniser l’organisme ce qui peut se traduire avec le temps par les problèmes de sommeil. Le tabagisme actif – qui est bien moindre dans cette population par rapport à la population générale (14 % contre 30 %) - influe aussi négativement sur la durée et sommeil. Il est aussi important de noter que 24 % des personnes interrogées qui dorment plus de 7 heures par nuit, consomment des aides au sommeil (médicamenteuses ou non) contre 12,9 % pour les petits dormeurs », continue le Dr Florian Robin.
Les auteurs se sont aussi intéressés à l’état de veille de cette population en analysant le recours aux substances permettant d’être plus actif (café, thé, boissons énergisantes) : 67,4 % des personnes dormant plus de 7 heures par nuit y recourent contre 77,1 % des petits dormeurs. Enfin, 36,5 % des répondants affirmaient avoir des tendances faibles à modérées à l’endormissement dans la journée et 5,8 % étaient gênés par l’intensité de ces phénomènes diurnes.
Des solutions à mettre en œuvre
Comment améliorer à la fois la santé des anesthésistes et réanimateurs et leur habilité à travailler de façon la plus efficace possible ? Pour le Dr Florian Robin, on peut y parvenir mais à deux conditions : « en évitant les gardes de 24 heures et en optant - si les horaires doivent être prolongés en raison de contraintes organisationnelles - pour les plages de travail de 16 heures au maximum par jour. Autre point à développer, selon lui : « le repérage par les services de santé au travail des profils à risque (âge, tabac, inactivité, gardes à répétition) et l’adaptation individualisée des plannings de garde pour permettre une meilleure qualité et une meilleure sécurité des soins. » Et pour mettre en œuvre, ces actions, suivez son regard : « C’est de la responsabilité des établissements de mettre en place des politiques de prévention afin de garantir aux soignants une qualité de sommeil optimale pour eux et pour leurs patients ».
Robin F, et al. EQSAR: «A national survey of sleep duration among French Anaesthesiologists and Intensivists.» Anaesth Crit Care Pain Med (2020), https://doi.org/10.1016/j.accpm.2020.04.020
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