Les sels d'aluminium contenus dans certains cosmétiques – dont la plupart des déodorants disponibles dans le commerce - sont suspectés depuis longtemps de participer à l'incidence croissante des cancers du sein. Aujourd'hui, deux nouvelles études fondamentales apportent de l'eau au moulin…
Un suspect sur le banc des accusés depuis plusieurs décennies
« Les substances chimiques entrant dans la composition des déodorants sont sur le banc des accusés depuis plusieurs décennies. Pourquoi ? On a observé une concordance temporelle entre l'augmentation des cancers du sein et l'introduction des déodorants. Et dans le même temps, on a assisté à une modification de distribution topographique des tumeurs mammaires. Dans les années 1950-1960, ces tumeurs étaient réparties dans toute la glande mammaire. Depuis l'introduction des déodorants, il y a 40-50 ans, ces tumeurs sont de plus en plus souvent situées en partie externe de la glande mammaire, proche de l'aisselle. On est aujourd'hui à 80-90 % de tumeurs localisées en partie externe, qui concentre le drainage lymphatique de la glande mammaire. D'où la question, la peau des aisselles étant extrêmement perméable, l'application de déodorants est-elle impliquée dans les cancers du sein ? En particulier l'aluminium qui à la différence d'autres métaux n'a aucune fonction biologique dans le corps humain, et qui est présent dans les déodorants à des concentrations élevées », souligne le Pr Sappino.
Des données épidémiologiques et fondamentales connues
Quelques travaux se sont penchés sur la carcinogénicité potentielle des sels d'aluminium des déodorants. On a en particulier des études épidémiologiques qui prêchent une association entre exposition aux déodorants à un jeune âge et la survenue de cancers du sein. Du côté fondamental, des travaux ont mis en évidence l'accumulation d'aluminium dans la glande mammaire chez les femmes vivant dans les pays développés, à des taux relativement élevés (0,8-87 µM). Dans son travail précédent (2012, 2016), cette même équipe à Genève a montré que des taux d’aluminium similaires (10-100 μM) sont suffisants in vitro pour induire la transformation maligne de lignées de cellules mammaires. Ces cellules transformées injectées à des souris immunodéprimées (pour la compatibilité entre les différents modèles utilisés) donnaient des tumeurs métastatiques très agressives. Ce qui constitue une première évidence du potentiel carcinogène de l'aluminium sur les cellules mammaires.
Une instabilité génomique avec altération de la structure et du nombre de chromosomes
« Aujourd'hui, deux nouvelles études viennent étayer la carcinogénicité des sels d'aluminium sur la glande mammaire, résume le Dr Mandriota. Nous avons d'une part mené une nouvelle expérience d'exposition d'une lignée de cellules mammaires murines au sel d'aluminium. Ces cellules exposées ont été injectées à des souris immunocompatibles ayant un système immunitaire intact. Et, à nouveau, on a observé le développement de tumeurs agressives et de métastases » (1).
« Au cours de ce travail, nous avons observé que l'exposition au sel d'aluminium augmentait très rapidement les anomalies chromosomiques dans les cellules mammaires exposées. Cela nous a amenés dans un second temps à aller plus loin sur le mécanisme d'action carcinogène des sels d'aluminium. Ce second travail mené sur la lignée V79 largement utilisée pour tester la carcinogénicité des produits en toxicologie, a montré que les sels d'aluminium à des concentrations retrouvées dans les tissus humains entrent rapidement (en une heure) et s'accumulent dans les cellules essentiellement dans la région périnucléaire. Il met par ailleurs en évidence que cette accumulation est associée de manière dose-dépendante à une augmentation des cassures de brins d'ADN, à un nombre anormal de chromosomes (aneuploïdie) et à la multiplication des arrêts de division en phase G2/M du cycle cellulaire. Cette instabilité chromosomique, qui induit une hétérogénéité génétique favorable à l'émergence de cellules cancéreuses, est un mécanisme précoce bien décrit de carcinogenèse. Nous allons donc continuer nos travaux mais nous avons déjà aujourd'hui un solide corpus d'éléments à charge qui devrait alerter les autorités sanitaires », conclut le Dr Mandriota.
D'après un entretien avec le Pr André-Pascal Sappino et le Dr Stefano Mandriota (Laboratoire de cancérogénèse environnementale, Fondation des Grangettes, Genève)
(1) Mandriota SJ et al. Genomic Instability Is an Early Event in Aluminium-Induced Tumorigenesis. Int J Mol Sci 2020; 21, 9332; doi:10.3390/ijms21239332
(2) Tenan MR et al. Aluminum Enters Mammalian Cells and Destabilizes Chromosome Structure and Number. Int J Mol Sci 2021; 22, 9515. https://doi.org/10.3390/ijms22179515
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