Les auditions de la mission de l'Assemblée nationale sur les sels de nitrites dans la charcuterie se sont poursuivies ce vendredi 13 novembre dans un contexte un peu tendu, comme l'atteste l'un des trois rapporteurs de la mission, le député Richard Ramos. « Certains avaient la certitude que nous n'avions pas de légitimité à nous emparer du dossier des sels de nitrites », a rappelé l'élu MoDem de la 6em circonscription du Loiret. « Nous avons maintenant la certitude que le sujet du sel de nitrites dans la charcuterie est un sujet interrogatif », prévient-il.
Le sujet du sel de nitrite a été introduit à l'Assemblée nationale par le biais d'un amendement déposé par Richard Ramos dans le cadre du PLFSS 2020, via une taxe au profit de la Caisse nationale de l’Assurance-maladie perçue sur les produits de charcuterie destinés à la consommation humaine, fixé à 0,10 centime d’euros par kilogramme. « J'avais la certitude qu'il fallait y aller progressivement, mais la FICT (Fédération française des industriels charcutiers traiteurs) n'a pas voulu travailler ainsi et a lâché tous les plus grands lobbyistes de la place de Paris pour monter une contre-attaque avec d’autres députés, se souvient l'élu. Ils ont fini par adopter la technique classique des lobbys, à savoir le discrédit. »
C'est à la suite de ces évènements que Richard Ramos a monté cette mission d'information avec Barbara Ballot (députée LREM de la 1re circonscription de la Haute-Saône) et Michèle Crouzet (députée MoDem de la 3e circonscription de l'Yonne), visant à rédiger une proposition de loi sur le sujet. « Nous ne sommes pas des anti-industriels, mais nous pensons que la transparence alimentaire et l'information des consommateurs doit être le chemin des industriels », affirme Richard Ramos à l'intention des professionnels venus défendre leurs intérêts.
L'ANSES prudente
Lors de cette première journée d'audition, trois membres de l'ANSES ont été invités à témoigner, dont Mathieu Schuler. Ce dernier s'est appuyé sur la dernière édition de l'enquête alimentation totale réalisée en 2011. « Cette enquête ne mettait pas en évidence de dépassements significatifs de la dose journalière admissible de nitrites, ni chez les adultes, ni chez les enfants », a-t-il expliqué à des élus dubitatifs. Et Mathieu Schuler a précisé que les normes en question concernent les nitrites en eux-mêmes et non pas les produits de dégradations suspectés de la cancérogénicité des charcuteries nitritées.
Dans la saisine de l'ANSES, « il est demandé si les nouvelles connaissances scientifiques peuvent éclairer sur le lien entre fer héminique et risque de cancer », explique le Dr Richard Lasfargues, directeur général délégué en charge du pôle science pour l'expertise de l'ANSES. Ces travaux pourraient amener l'agence à revoir les doses journalières acceptables.
La Ligue contre le cancer monte au front
Le sujet agite également les réseaux sociaux où plusieurs personnalités ont pris la parole, comme le président de la ligue contre le Cancer, le Pr Axel Kahn.
Le Pdt de La Ligue contre le cancer, celui de l’Institut national du cancer, des scientifiques indépendants de la FICT recommandent de ne plus utiliser les nitrites dans la charcuterie. De développer les méthodes alternatives pour les viandes étuvées. Le salut pour la profession.
— Axel Kahn (@axelkahn) November 11, 2020
Lors d'une précédente audition, le Pr Axel Khan avait rappelé que la viande était cancérigène et que cela s'expliquait par les phénomènes d'oxydation et de peroxydantion par les fers héminiques, « en particulier l'oxydation de la membrane nucléaire ».
La viande rouge est classée dans la catégorie IIa (agent probablement cancérogène) par le Centre international de recherche sur les cancers, tandis que les charcuteries sont classées dans la catégorie I (agent cancérogène pour l'homme) sur la base de données épidémiologiques. « Elle contient pourtant moins de fer héminique », poursuit le Pr Khan, « c'est ce qui m'a poussé à me pencher sur les sels nitrités ». Citant une métaanalyse menée sur le sujet, il ajoute que « sur 17 publications, 11 disent que les charcuteries nitritées sont plus cancérigènes chez l'homme que les charcuteries non nitritées, cinq disent qu'elles le sont autant, et une seule dit qu'elles le sont moins. »
Selon des résultats publiés par Fabrice Pierre et Denis Corbet, du laboratoire INRA TOXALIM de Toulouse, également auditionnés, la cancérogénicité liée aux charcuteries nitritées est différente de celle liée à la viande rouge. « Le grand phénomène chimique de la charcuterie nitritée est la formation de nitroso-hème ferreux, incroyablement stable et qui résiste à la cuisson, ajoute le Pr Khan. On en retrouve même dans les fèces. Il est quand même dégradé en partie et produit une cascade des produits de dégradation au contact direct de la muqueuse intestinale, et en particulier de la muqueuse colique. C'est ce qui explique le caractère très spécifique de la cancérogénicité des produits nitrités. »
Selon diverses évaluations également évoquées par le Pr Khan, on estime que 5 % des cancers du côlon, dans le monde, pourraient être dus aux charcuteries. « Mais on en mange beaucoup plus en France que dans d'autres régions du monde ! », prévient-il.
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