Ce sont dans les Antilles française où les incidences de cancer de la prostate sont parmi les plus fortes du monde : 173/100 000 personnes années en Guadeloupe et 164/100 000 en Martinique pour la période 2007-2017 contre 88,8/100 000 en France métropolitaine selon Santé Publique France (1) (SPF).
Pour autant, cette forte prévalence peut-elle s’expliquer, au moins en partie, par l’exposition au chlordécone ? Les populations antillaises, dont la majorité puise ses origines dans l’Afrique subsaharienne, cumulent d'autres facteurs de risques, notamment génétiques, et les prévalences observées sont proches de celles des populations noires américaines ou caribéennes.
D'un point de vue toxicologique, le chlordécone est classé « cancérogène possible pour l’Homme » (catégorie 2B) par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 1979. « Il existe un large consensus sur la toxicité du chlordécone. Il apparait donc comme un facteur de risque de cancer de la prostate, un de plus, mais dont l'amplitude est modeste », résume Luc Multigner, de l'Institut de recherche en santé, environnement et travail à Rennes.
Dans le rapport préliminaire en juin de l'expertise collective INSERM (2), la relation causale entre l’exposition au chlordécone et le risque de survenue du cancer de la prostate est qualifié de « vraisemblable », bien qu'établir scientifiquement une relation de causalité reste « un exercice difficile ».
L'étude Karuprostate
La seule étude à avoir véritablement établi une relation statistique entre exposition au chlordécone et surrisque de cancer de la prostate dans les Antilles françaises est l'étude Karuprostate. Publiée en 2010 dans le « Journal of clinical oncology » (3), elle est largement reprise dans l'expertise collective de l'INSERM. Cette étude cas-témoins en Guadeloupe compare les concentrations plasmatiques de chlordécone de 709 cas de cancer de la prostate à ceux de 722 témoins.
Les auteurs ont constaté un pourcentage significativement plus important de personnes appartenant au quartile d'exposition le plus élevé parmi les cas de cancer, comparé aux témoins. Le risque de cancer est significativement augmenté de 80 % chez les sujets ayant des concentrations supérieures à 1 μg/L.
« Il ne faut pas attribuer une signification clinique prédictive à ce seuil de 1 μg/L, prévient Luc Multigner, premier auteur de l'étude. Le chlordécone a une demi-vie dans l'organisme de 6 mois et n'est pas un bon marqueur de risque individuel à long terme. Il revient aux pouvoirs publics autorités de santé d'estimer la part des 1000 cancers de la prostate diagnostiqués chaque année dans les Antilles, qui peut lui être attribuée. »
L'INCA très critique
Pour l'INCa, chargé à la rentrée par la ministre de la Santé d'approfondir cette question, l'étude Karuprostate « même d’excellente qualité, ne constitue pas une preuve suffisante ». L'INCa a de plus formulé plusieurs remarques sur la méthodologie de ce travail : « les deux groupes ne sont comparables ni sur l’âge ni sur les facteurs de risque classiques de survenue d’un cancer de la prostate », répond l'Institut au « Quotidien ».
Les premiers résultats (publiés en octobre dernier dans la revue « Environmental Science and Pollution Research ») d'une cohorte de 14 800 travailleurs agricoles, commanditée par SPF, indiquent qu'il n'y aurait pas de surmortalité toutes causes ni de surmortalité par cancers de la prostate chez les travailleurs agricoles.
« Malheureusement, nous n’avons pas encore les moyens de distinguer ceux qui ont été effectivement exposés professionnellement à la chlordécone de ceux qui ne l’ont pas été » souligne Luc Multigner.
Une nouvelle cohorte de malade, KP-Caraïbes, est en cours de constitution, dans le cadre du soutenue par le plan national chlordécone. Elle étudiera l’impact des expositions au chlordécone sur la progression de la maladie en fonction des options thérapeutiques. L'ANSES, pour sa part, a mis en place un groupe de travail consacré à l'établissement de valeurs de références d'exposition au Chlordécone.
(1) J Deloumeaux et al., Santé Publique France, 2019
(2) Exposition aux pesticides et au chlordécone. Risque de survenue d’un cancer de la prostate. Expertise collective Inserm. Rapport préliminaire, février 2019
(3) Luc Multigner et al., Journal of clinical oncology, DOI: 10.1200/JCO.2009.27.2153 Journal of Clinical Oncology 28, no. 21 (July 20, 2010) 3457-3462 ,2010.
(4) http://www.martinique.gouv.fr/Politiques-publiques/Environnement-sante-…
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024