Ce n’est pas seulement l’anniversaire de l’Institut national du cancer (Inca) qui a été célébré le 3 juillet, mais aussi celui du modèle français d’organisation de la lutte contre le cancer. « On a un modèle qui est issu d’une décision politique et qui n’a tenu que par un soutien politique permanent. Le résultat est reconnu en Europe et approuvé par la population », s’est réjoui le Pr Norbert Ifrah, président de l’Inca, en introduction d’une journée de tables rondes destinée à faire un bilan de l’institution et de ces projets à venir.
L’histoire de l’Inca, fondée par le président de la République Jacques Chirac en 2005, est intimement liée aux trois plans cancer quinquennaux successifs auxquels succède une stratégie décennale (2021-2030). Vingt ans après, cette mise en musique de la lutte contre le cancer s’est traduite par des résultats concrets.
Les RCP, une avancée majeure
La structuration des soins en cancérologie doit beaucoup à l’Inca. Dès 2007, des premiers critères d’agrément pour le traitement des cancers ont été définis par l’institut, et des réunions de concertation pluridisciplinaires (RCP) ont été mises en place. « Les RCP sont centrales et structurantes, se souvient la Pr Anne Vincent-Salomon, spécialiste en anatomie et cytologie pathologiques à l’institut Curie. Il y a vingt ans, quelques dizaines de pages suffisaient à décrire l’anatomie pathologique des cancers féminins. Il y en a désormais 350 rien que pour les cancers gynécologiques, et à peu près autant pour le cancer du sein. » En 2010, les organisations interrégionales de recours pour les cancers pédiatriques ont été mises en place puis labellisées à partir de 2024. En 2012, 24 unités de coordination en oncogériatrie ont été structurées.
La recherche en cancérologie est fortement marquée par l’action de l’Inca, qui a mis en place une labellisation des centres spécialisés. En quinze ans, l’Inca a financé 4 380 programmes de recherche pour un total de 1,82 milliard d’euros ; en 2024, ce sont 74,1 millions d’euros qui ont été alloués. « L’Inca a joué un rôle majeur dans la perception des essais cliniques, précise le Pr Fabrice Barlesi, directeur général de Gustave-Roussy. Il y a vingt ans, les patients qui entraient dans des protocoles de recherche avaient l’impression d’être des cobayes, maintenant ils sont demandeurs. » L’inclusion des patients a été multipliée par presque trois entre 2002 et 2023, passant de 21 542 à plus de 60 000.
Près de 4 millions de Français vivent avec le cancer, et plus de 433 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année
Le Pr Philippe Giraud, du service d’onco-radiothérapie de l’hôpital européen Georges-Pompidou, remercie l’Inca pour trois choses : « la collaboration de tous les laboratoires qui travaillent sur la radiothérapie via le réseau “radiotransnet”, son soutien au déploiement de l’imagerie de précision avec laquelle nous sommes entrés dans l’intimité des cellules et des progrès technologiques comme les accélérateurs linéaires », ces appareils capables de produire des rayons X de haute énergie ou des faisceaux d'électrons, qui sont ensuite dirigés vers les tumeurs pour les détruire.
Vers une prise en charge de plus en plus globale
Alors que le premier plan cancer structurait l’offre de soins et que le deuxième mettait l’accent sur la personnalisation des prises en charge, le troisième était centré sur l’accès à l’innovation thérapeutique, la qualité de vie et la prise en charge globale de la personne pendant et après la maladie. « Le soin n’est plus un acte mais un parcours, et le traitement s’inscrit dans un parcours de vie », résume le Pr Ifrah.
Fondatrice et directrice de l’association Imagine for Margo, Patricia Blanc considère qu’il reste des progrès à faire dans ce domaine, en particulier dans les cancers pédiatriques où la qualité de vie des proches est très affectée. « Un des parents doit toujours arrêter de travailler, et c’est souvent la maman. Les parents qui travaillent dans de grandes structures peuvent trouver des solutions pour aménager leur travail, mais il manque des dispositifs d’aide pour les professions libérales, explique-t-elle. Il y a aussi les problématiques de la confiance en soi et du retour à l’école. Pour l’instant, ce sont surtout les associations qui accompagnent les familles. »
Et pour l’avenir ? L’Inca prépare le bilan à mi-parcours et la seconde feuille de route de sa stratégie décennale. « On a passé les vingt dernières années à entrer dans les spécificités des tumeurs et de leurs cellules pour des traitements de plus en plus précis, détaille la Pr Anne Vincent-Salomon. Il faut maintenant faire des recherches pour travailler sur le dépistage qui est en baisse, et sur la vaccination vis-à-vis de laquelle les Français sont très réticents. » Il y a aussi la question des modes de vie et le Pr Norbert Ifrah a pris une position très nette vis-à-vis de la consommation d’alcool en France. Un positionnement « courageux dans un pays comme la France où les lobbys sont puissants », estime la Pr Vincent-Salomon.
Tout un pan de travail est en cours sur la qualité de vie, avec la mise au point d’échelles adaptées aux contextes cliniques. Pour le Dr Philippe Bergerot, président de la Ligue contre le cancer, l’amélioration de la qualité de vie doit aussi concerner le domicile, le lieu de travail et les déplacements. « L’accès aux soins de support ne doit pas être exclusif aux grands centres de cancérologie, il faut les démocratiser », plaide-t-il.
Le défi des nouvelles technologies
Le stockage et l’utilisation des données de santé sont aussi au menu du programme de l’Inca. Un chantier jugé essentiel par le Pr Éric Solary, président de la fondation ARC. « On a plus de 3 000 molécules en développement en cancérologie, rappelle le cancérologue. Si on est réaliste, on ne pourra jamais toutes les développer avec des études randomisées, il faut des alternatives basées sur la data. »
L’Inca est engagé sur plusieurs projets. À commencer par le registre national des cancers, dont la création a été adoptée le 23 juin par l’Assemblée nationale et qu’il devra administrer. L’institut participe aussi au European Health Data Space pour favoriser l’échange de données à l’échelle de l’Union européenne. « Il faut stabiliser une doctrine européenne de gestion de la donnée, estime le directeur de l’AP-HP, Nicolas Revel. Il y a un débat pour savoir si on doit travailler ou non sur le modèle de l’hypercentralisation. »
Des discussions portent aussi sur l’interopérabilité des sources de données, l’attractivité des talents ou encore la construction d’entrepôts de données. « Les équipements coûtent de moins en moins cher : le coût d’un séquençage de génome a été divisé par dix en dix ans, poursuit Nicolas Revel. La limite technologique s’est déplacée, maintenant c’est la bio-informatique et le traitement de ces données qui bloquent. »
Le cancer, première préoccupation des Français
À l’occasion de son vingtième anniversaire, l’Inca a commandé à l’institut BVA un sondage réalisé auprès d’un millier de personnes. Il en ressort que les cancers sont le premier sujet de préoccupation en matière de santé pour 77 % des Français. La détection précoce est considérée comme une priorité de santé publique par 57 % des personnes interrogées. Le sondage fournit aussi des idées de piste d’amélioration pour les Français : l’accompagnement des personnes ayant eu un cancer selon 48 % des personnes interrogées et l’accès aux traitements innovants pour 55 % d’entre elles.
Dans l’ensemble, 75 % des Français jugent de bonne qualité l’accès aux soins et aux traitements et 77 % considèrent que la lutte contre le cancer s’est nettement améliorée en vingt ans. Cela étant dit, 46 % estiment aussi que la possibilité d’en bénéficier n’est pas équivalente, quel que soit le niveau de ressources ou la localisation sur le territoire.
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