Y a-t-il eu tromperie ? Le « New York Times » daté du 4 février relayé par le journal « Le Monde » accuse le groupe pharmaceutique Boehringer Ingelheim d’avoir tenté d’empêcher la publication d’une étude précisant la pharmacocinétique de son anticoagulant, Pradaxa.
Le dabigatran, nouvel anticoagulant oral, inhibiteur direct de la thrombine, dispose d’une AMM en cardiologie dans la prévention des accidents vasculaires chez les sujets présentant une fibrillation auriculaire sur les bases d’une étude fondatrice, RE-LY dont les résultats ont été publiés en 2009 dans le NEJM. Cet essai de non-infériorité a testé 2 doses de dabigatran 110 et 150 mg, comparées à la warfarine.
Le Dr Lotfi Boudali, Direction du pole cardiovasculaire de l’ANSM* ne croit pas à la dissimulation. « La publication du Jacc** citée par le New York Times était disponible en ligne dès le mois de septembre 2013, elle détaille les données de pharmacocinétiques concernant la population de l’étude RE-LY, et, assure le Dr Boudali, toutes les données présentées ont été versées au dossier d’ AMM ». Mais méritaient-elles cependant d’être connues de tous ? Pas si sûr.
Des variations de 1 à 5
Cette publication dont le premier auteur, le Pr Paul Reilly, appartient au groupe pharmaceutique, montre des variations importantes interindividuelles de concentrations sanguines du dabigatran, de 1 à 5, dans la population RE-LY. Les facteurs qui font varier la concentration de l’anticoagulant sont essentiellement, la fonction rénale- c’était prévisible puisque le produit est éliminé à 80 % par le rein, l’âge, le poids, le sexe. La régression logistique montre que le risque d’accident ischémique est inversement corrélé aux concentrations sanguines les plus basses (p égal 0,0045), à l’âge et aux AVC antérieurs ( p inférieur à 0,0001) ; le risque hémorragique augmente avec l’exposition (p inférieur à 0,0001) , l’âge (p inférieur à 0,0001), l’utilisation d’antiagrégant plaquettaire (p inférieur 0,0003) et le diabète ( p égal 0,0018).
« Les patients qui avaient dans l’étude une concentration basse avaient un risque d’accident thrombotique plus élevé, et ceux qui avaient des taux élevés, un risque d’accident hémorragique plus important, sans que cela soit prévisible remarque le Pr Marc Samama (anesthésie-réanimation, hôpital Cochin, Paris). Je partage l’opinion des auteurs qui suggèrent de pratiquer un test Hemoclot (temps de thrombine dilué, spécifique du dabigatran) chez certains patients très âgés ou insuffisants rénaux pour diminuer le degré d’imprécision et savoir si un patient est ou non surexposé ». Un test réservé aux CHU et CHR, pas encore disponible en routine.
Nuances
Et c’est ce qui pose problème. Les NACOs ont été présentés comme des produits ne nécessitant pas le même suivi que les AVK. Les données sont bien posées. « Ils sont aussi efficaces mais pas dénués de risque hémorragique, insiste le Dr Boudali, même s’il existe moins de saignements intracrâniens, et ne nécessitent pas de suivi de l’hémostase. Mais ce qui est important à comprendre c’est qu’un NACO se prescrit sans INR ». En l’occurrence pour le dabigatran la dose recommandée, 150 mg X 2 ou 110 mg X 2 en fonction de la clairance de la créatinine, alors que la dose d’un AVK quel qu’il soit, est absolument contrainte par l’INR.
« L’absence de monitoring de l’hémostase en routine est une caractéristique des NACOs, mais en aucun cas cela doit être présenté aux prescripteurs comme un avantage. Ce serait sanctionné par l’Agence. Car il s’agit juste de dire aux prescripteurs que les examens habituels, notamment l’INR, ne servent à rien, au contraire, ce serait une erreur de les faire » insiste le Dr Boudali.
Aucun des NACOs n’a fait d’étude de supériorité. Il n’y a donc aucun argument actuellement pour recommander en première intention un NACO par rapport à un autre. L’évaluation du profil patient est indispensable. « L’anticoagulation doit être adaptée à chaque patient. Quel est le bon anticoagulant ? À chaque visite le risque thrombotique et hémorragique doit être réévalué » insiste le Dr Boudali.
Quant à l’antidote, autre point critique, le laboratoire Boehringer Ingelheim serait en phase III de son développement.
* Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. ** Jacc Vol 63 N°4, 2014
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