« MAINTENANT qu’elle est de plus en plus proche et inévitable, j’ai de plus en plus peur de la transplantation. Je vais même jusqu’à préférer imaginer mourir plutôt que d’être transplanté. Transplantation est synonyme pour moi d’infirmité, de handicap. » Le Dr Marc Géraud, est en ce mois de novembre 2002, hospitalisé en cardiologie à la Pitié-Salpétrière, sa fraction d’éjection n’est plus qu’à 12 % (pour une normale à 75 %), son cœur est épuisé, vaincu par la nécrose qui l’a terrassé trois mois plus tôt sur le quai de la gare de Lyon, au retour de vacances. Ce dimanche d’août, aux environs de 22 heures, une douleur violente lui traverse la poitrine. Aurait-il été victime d’une balle perdue ? Non pas de sang. « Mes cours de médecine me reviennent instinctivement en boucle : douleur constrictive, impression de chape de plomb sur la poitrine, irradiation vers la mâchoire et les poignets, pas d’antécédents notables : le verdict est assez univoque et sans la moindre ambiguïté ! Les deux seuls diagnostics possibles, ... étaient rupture d’anévrisme thoracique ou infarctus du myocarde. » Le SAMU confirmera l’IDM. À 45 ans, en bonne santé jusque-là, sans le moindre problème cardiaque et sans facteur de risque autre que le surmenage, le Dr Géraud, l’hyperactif, entre, à cet instant dans un univers méconnu, celui des patients. « Je passe du monde vertical au monde horizontal », écrit-il.
Fraction d’éjection de 12 %.
Direction l’hôpital de La Pitié. À la coronarographie, il suit l’écran au-dessus de sa tête et le petit guide lumineux qui remonte jusqu’à son cœur. Coronaire gauche totalement bouchée. Un à un, les petits caillots qui obstruent la coronaire seront retirés. Le matin à son réveil en Unité de soins intensifs cardiaques (USIC), il est encore persuadé d’en avoir que pour quelques jours. « Un stent... quelques jours de surveillance, une petite leçon de morale, un bon régime et basta ». Nouvel arrêt cardiaque et plusieurs réanimations. Le recours à un cœur artificiel s’avère indispensable. Robocop, comme il l’appelle, sorte de « machine à laver la vaisselle », est alors un gros cube en métal de 1m20 de long par 1m20 de large et 1m20 de haut muni d’un écran de contrôle, de nombreux boutons de réglages et de deux gros tuyaux reliés au cœur. Ni ce cœur artificiel ni plus tard les séances de rééducation ne suffiront. Le recours à la greffe semble inéluctable. Loin de s’améliorer, sa fraction d’éjection qui était remontée à 40 % grâce au cœur artificiel ne progresse pas. Au contraire, elle régresse. Un ultime épisode d’œdème aigu du poumon et c’est le retour à La pitié pour une nouvelle coronarographie. Fraction d’éjection à 12 %. « Plus aucune contraction, plus de tissu musculaire, pus d’efficacité, mon bon vieux cœur ne vaut plus rien », constate-t-il.
Il croyait pourtant être né sous une bonne étoile. Ses études de médecine commencées en 1975 à Saint-Antoine, il obtient l’internat des hôpitaux de Paris réussi en 1981 et s’oriente vers la chirurgie avant d’hésiter entre la gynécologie et l’urologie. Ce sera l’urologie à l’hôpital Cochin dans le service du Pr Adolphe Steg qui sera remplacé par le Pr Bernard Debré. À la fin de son clinicat en 1990, il s’interroge. Trois options s’offrent à lui : rester à Cochin, s’associer à Vannes avec un urologue brillant dans une clinique cossue dans un cadre de rêve à dix minutes du golfe du Morbihan ou encore reprendre seul une grosse clientèle dans une clinique de Compiègne.
Le miracle se produit.
Ce sera la 3e option, celle que suggère une cartomancienne, une ancienne patiente qu’il consulte « un peu honteusement, en cachette ». Ce choix correspond à celui de celle qui est alors sa femme, une radiologue. Et Il sera gagnant. Gardes, bloc, consultes, conférences, dîners, débats, congrès à l’étranger... tout tourne à fond, le chiffre d’affaires double en quelques années, les revenus permettent l’achat d’une demeure style hôtel particulier dans un quartier prestigieux. Mais la vie de famille est reléguée au second plan.
Début 2000, c’est le divorce.
L’accident survient deux ans plus tard, alors que l’horizon semble s’éclaircir. Sa nouvelle compagne est enceinte de trois mois. L’idée d’une greffe est alors inacceptable. À la Pitié, la cardiologue saura le convaincre. « Vous vivrez comme avant », lui a-t-elle simplement affirmé. Des mots simples auxquels il s’accroche. « Cette image d’elle assise sur mon lit restera à jamais fixée dans ma mémoire, elle m’a beaucoup marqué et, aujourd’hui, je dois dire que j’ai adopté cette attitude au quotidien avec mes patients ». L’attente sera de courte durée : 3 semaines où il est de plus en plus affaibli avec une tension à 5 (le chiffre limite bas étant de 4). « On a un cœur ». C’est la deuxième annonce à une semaine d’intervalle. Cette fois ce sera la bonne.
Au réveil, « Le miracle s’est produit ». Tension 14/9, pouls 95. Son unique préoccupation : récupérer au plus vite grâce à la « pompe » qu’on lui a implanté. Un nouveau moteur en quelque sorte, et seul le côté hémodynamique importait. Pourtant une information recueillie au Congrès de l’AFU où s’était rendue sa compagne devait resurgir quelques semaines plus tard. Un des médecins qu’elle avait rencontré avait prélevé le jour de sa transplantation à lui, le rein du donneur... un homme de 27 ans tué en moto sur le périphérique parisien. Plus tard donc, alors que la vie avait repris son cours et qu’il avait repris ses activités de chirurgien, une sensation étrange après une course dans une côte à Callioure va le bouleverser. Pour la première fois, il réalise que ce cœur qui bat dans sa poitrine n’est pas le sien. Il a la sensation de quelque chose d’étranger, « un autre qui habite en moi : c’est lui qui m’a aidé à monter cette côte avec autant de vigueur ». Il dira : « je ne suis donc plus unique à habiter mon corps, nous sommes dorénavant deux ».
Anonymat du don.
Qui était ce donneur ? En tant que chirurgien, il a assez d’éléments pour en savoir plus en consultant les cahiers de bloc. Il décide de ne pas mener l’enquête mais aimerait simplement pourvoir dire merci aux parents, « sans déranger ». Ces interrogations le poussent à participer à des colloques sur la greffe. La réponse viendra en 2006, lors d’une Rencontre à Amiens à laquelle participent les Pr Dubernard et le Pr Devauchelle qui viennent de réaliser la première greffe du visage. Il est appelé à témoigner. Dans le public, des familles de donneurs. Parmi elles, un vieil homme : « Docteur ne faites pas ça, ne contactez pas cette famille... mon fils est mort et nous avons accepté de donner ses organes. Mais fichez-nous la paix maintenant, on ne veut plus en entendre parler. Il est mort, je ne sais à qui ont été donnés son cœur, ses reins, son foie et je ne veux surtout pas le savoir. Ça vous ferait peut-être du bien à vous de savoir qui est votre donneur, mais pas à nous. »
Ce jour-là, « je décide de cesser de m’interroger sur mon donneur. Je n’en ai pas le droit. Depuis je milite pour que l’on préserve avec intransigeance l’anonymat du don d’organe », conclut le Dr Géraud.
* Marc Géraud, À cœur perdu, L’apart éditions, janvier 2013, 256 pages, 18 euros.
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