Double antiagrégation plaquettaire

Un débat sur la durée n’est pas encore clos

Publié le 21/06/2012
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Crédit photo : BSIP

L’IDEE DE LA BITHERAPIE a été française. En associant aspirine et ticlopidine, Paul Barragan a fait beaucoup pour le stent coronaire. La baisse des complications thrombotiques et hémorragiques suivant la mise en place d’un stent a été tellement spectaculaire par rapport aux autres traitements antithrombotiques que l’application du double traitement antiplaquettaire a été quasi immédiate. La démonstration scientifique ne l’a validée que bien plus tard. Le clopidogrel a remplacé la ticlopidine dans la bithérapie et, à la faveur de nouvelles indications, comme le syndrome coronarien aigu (SCA) ou l’utilisation des stents actifs, la durée du double traitement a été prolongée à 3-6 mois (après stent actif), puis à 9-12 mois (après SCA), et même au-delà après stent actif. En accord avec les recommandations (2), l’attitude générale est de considérer que la durée de la bithérapie en situation d’angor stable doit être de 1 mois après stent nu, de 6 à 12 mois après stent actif et de 1 an après SCA, sans tenir compte de la revascularisation. Mais, dans les deux situations cliniques, la durée optimale de la bithérapie reste mal définie.

Une durée de traitement encore discutée après un SCA.

Chez des sujets à faible risque hémorragique, la prescription d’une bithérapie antiagrégante après un infarctus avec sus-décalage du segment ST (STEMI) est bénéfique pendant 1 mois (étude COMMIT [3]), mais rien n’est démontré au-delà de cette durée et les recommandations ont considéré qu’on pouvait utiliser, par assimilation, les résultats des études dans le cadre des NSTEMI. En effet, la durée de la bithérapie de « 9 à 12 mois » vient des résultats de l’étude CURE (4), ayant inclus des patients avec NSTEMI. A l’époque de la publication ces résultats, des voix se sont élevées pour dire qu’au-delà de 6 mois, il n’y avait, à l’évidence, plus de bénéfice et que chaque événement thrombotique évité l’était au prix d’une complication hémorragique (5). En pratique, cette discussion est d’une importance majeure car, outre l’impact financier de prolonger la bithérapie au-delà de 6 mois, les contraintes pour le patient sont réelles et il semble acquis que le maximum du bénéfice du double traitement antiagrégant plaquettaire après SCA est observé durant les premiers mois. Les études effectuées avec les nouveaux antiagrégants plaquettaires (TRITON et PLATO) n’ont pas apporté d’élément supplémentaire dans ce débat.

Les résultats de l’étude PRODIGY.

Les études avec les stents actifs de première génération ont intégré la notion d’une bithérapie plus longue qu’avec un stent nu : 3 mois pour les études avec stent au sirolimus, 6 mois pour les études avec stent au paclitaxel. L’observation de thromboses de stent tardives, la controverse sur la sécurité des stents actifs lors du congrès de l’ESC de 2006 et des publications d’études de registre montrant un bénéfice de la bithérapie sur 24 mois (5) expliquent la prolongation de la DAPT sur 1 an après stent actif.

L’étude PRODIGY aborde la question de la durée de la bithérapie, en intégrant à la fois le type de stent et la situation de SCA, avec un design multicentrique comparant deux durées de traitement, 6 et 24 mois, sur un effectif de 2 013 patients (trois quarts des patients ayant un SCA), répartis en quatre groupes de stents (trois groupes de patients ayant reçu une stent actif et le quatrième un stent nu). Le critère d’efficacité associe la mortalité globale, l’incidence des infarctus myocardiques et/ou des accidents vasculaires cérébraux, transitoires ou constitués, et les thromboses de stent.

La fréquence de survenue du critère primaire à 2 ans est apparue identique dans les deux groupes : 10,1 % et 10,0 % sous, respectivement, 24 et 6 mois de bithérapie (p = 0,91). Les événements hémorragiques sont apparus presque deux fois plus fréquents en cas de bithérapie prolongée. Enfin, aucune interaction n’a été montrée en fonction de la présentation clinique (SCA ou stable), du type de stent, actif ou non, de la présence d’un diabète, d’une insuffisance rénale, du nombre de sites traités, de l’âge ou du sexe.

A. Kastrati (Munich) a commenté ces résultats lors de leur présentation aux sessions scientifiques 2011 du congrès de la Société européenne de cardiologie : après avoir précisé les limites de l’étude (réalisée en ouvert et portant sur un nombre limité de patients), il a conclu qu’elle constituait un argument de poids contre une bithérapie antiagrégante de durée « indéterminée », qui est un des handicaps majeurs de l’angioplastie avec stent.

Le résultat, très provocateur, de cette étude, va à l’encontre de la pratique habituelle : absence de bénéfice en cas de bithérapie prolongée au-delà de 6 mois après angioplastie, quelle qu’en soit l’indication (angor stable ou SCA) et le type d’endoprothèse.

Cela remettra-il en cause notre pratique ? Ce n’est pas exclu, en tout cas, cette étude repose la question du bien-fondé de la bithérapie au-delà de 6 mois, à un moment où nous disposons d’inhibiteurs de récepteurs P2Y12 plus puissants que le clopidogrel (et donc à plus fort risque hémorragique) et dans un contexte de plus grande prise en compte des complications hémorragiques.

D’après un entretien avec le Pr François Schiele, service de cardiologie, CHU de Besançon.

Liens d’intérêts : perception d’honoraires pour communications et participation à études cliniques à titre personnel et pour le compte d’une association de recherche clinique pour les trois laboratoires qui proposent des molécules antiplaquettaires orales.

(1) Valgimigli M, Campo G, Monti M et coll. Short- versus long-term duration of dual

antiplatelet therapy after coronary stenting: a randomized multicenter trial. Circulation

2012;125(16):2015-2026.

(2) Wijns W, Kolh P, Danchin N et coll. Guidelines on myocardial revascularization: The Task

Force on Myocardial Revascularization of the European Society of Cardiology (ESC) and the

European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J 2010;31(20):2501-2555.

(3) Chen ZM, Jiang LX, Chen YP et coll. Addition of clopidogrel to aspirin in 45,852 patients with acute myocardial infarction: randomised placebo-controlled trial. Lancet 2005;366(9497):1607-1621.

(4) Yusuf S, Zhao F, Mehta SR, Chrolavicius S, Tognoni G, Fox KK. Effects of clopidogrel in addition to aspirin in patients with acute coronary syndromes without ST-segment elevation. N Engl J Med 2001;345(7):494-502.

(5) Eriksson P. Long-term clopidogrel therapy after percutaneous coronary intervention in PCI-CURE and CREDO: the "Emperor’s New Clothes" revisited. Eur Heart J 2004;25(9):720-722.

Dr GERARD BOZET

Source : Bilan spécialistes