L’éradication programmée des valvulopathies médicamenteuses
On sait depuis de nombreuses années que certains médicaments peuvent donner des valvulopathies médicamenteuses. Ce qu’a révélé l’affaire du Médiator, c’est leur gravité potentielle et leur sous-estimation par le cardiologue.
Les valvulopathies médicamenteuses sont essentiellement des fuites mitrales, aortiques et tricuspidiennes. Elles ont en commun d’être des valvulopathies restrictives, où le mouvement valvulaire perd de son ampleur et de sa souplesse. À l’échographie quelques caractéristiques permettent d’évoquer une cause médicamenteuse sans signe réellement pathognomonique : épaississement et rétraction des cordages, épaississement plus ou moins marqué des feuillets valvulaires, absence ou petite taille des calcifications, absence habituelle de fusion commissurale. Parfois la situation est complexe, car on peut admettre que le médicament est venu aggraver une valvulopathie préexistante, par exemple une bicuspidie aortique, sans réelle démonstration. Les valvulopathies médicamenteuses peuvent-elles être des rétrécissements mitraux ou aortiques ? Si c’est le cas, c’est très rare. À l’arrêt du médicament responsable, ces valvulopathies peuvent régresser, se stabiliser ou évoluer pour leur compte.
Le mécanisme commun aux valvulopathies médicamenteuses a été identifié : c’est une fibrose provoquée par la stimulation des récepteurs 5HT2B de la sérotonine. Tous les médicaments qui modulent le métabolisme de la sérotonine ne stimulent pas ces récepteurs, par exemple les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine.
Plusieurs médicaments potentiellement inducteurs de valvulopathie ont été supprimés au cours de dernières années (tableau 1)
Dans les suites du retrait du Médiator®, les autorités sanitaires françaises et européennes ont entrepris de supprimer toute une série de médicaments potentiellement inducteurs de valvulopathies avec bénéfice modeste ou mal démontré ou avec des alternatives médicamenteuses. La suppression de ces médicaments ne vise pas qu’à diminuer le risque de valvulopathie, mais également à prévenir l’ergotisme et les fibroses d’autres territoires comme les poumons et le rétropéritoine. Pour certains médicaments comme le pergolide (Celance®) le rôle fibrosant était démontré ; pour d’autres, par exemple la dihydroergocristine (Iskedyl®), il n’était que potentiel.
Plusieurs médicaments potentiellement inducteurs de fibrose ont été maintenus avec modification des conditions de prescription. En effet, pour certains de ces médicaments, le bénéfice dépasse largement le risque d’effet indésirable. Par exemple, la bromocriptine (Parlodel®) et la cabergoline (Dostinex®) sont les piliers du traitement des hyperprolactinémies. Pour limiter le risque de valvulopathie, la dose maximale en a été réduite et la surveillance renforcée (tableau). Un autre exemple est celui du méthysergide (Désernil®). Ce traitement de fond de la migraine est inducteur de fibroses valvulaires et rétropéritonéales. Compte tenu de l’utilité de ce médicament pour une petite population de migraineux qui répond mal aux autres traitements, il a été maintenu, avec de nombreuses conditions : limitation de la dose quotidienne à 6 mg/j, fenêtre thérapeutique d’au moins 4 semaines entre les cures, surveillance tous les 6 mois par échocardiographie, IRM abdominale et EFR.
Le Gynergène-caféine® est un traitement de la crise migraineuse utile chez certains patients. Son rôle fibrosant est plus théorique que démontré. En effet, dans des conditions normales d’utilisation, le Gynergène-caféine® est employé de façon discontinue. Cependant, le risque fibrosant ne peut être exclu chez certains patients qui en font un usage abusif. Les conditions d’utilisation de ce médicament sont en cours de révision.
Pour d’autres médicaments le rôle fibrosant est très controversé. Par exemple, le méthylphénidate (Ritaline®) est un psychostimulant indiqué pour des troubles de l’attention avec hyperactivité chez l’enfant. Compte tenu de sa structure amphétaminique, un effet fibrosant est possible mais mal étayé par la pharmacovigilance. Certains experts conseillent une surveillance échographique. Pour le moment, l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) ne conseille pas cette surveillance.
Ulcérations cutanéomuqueuses : penser au nicorandil
De nombreux médecins, et des cardiologues en particulier, ignorent encore que le nicorandil (Adancor®, Ikorel®) peut provoquer des ulcérations cutanéomuqueuses. De ce fait, on voit encore communément des ulcères buccaux, des fistules digestives sous nicorandil alors que le diagnostic d’ulcère ou de fistule a été fait depuis de nombreux mois. L’ANSM a lancé une alerte en 2 012 fondée sur les données de l’enquête française de pharmacovigilance de 2 012. Celle-ci montre que ces ulcérations peuvent toucher la peau, la bouche (figure), tout le tube digestif, en particulier l’anus. Les ulcères buccaux sans gravité sont assez fréquents : dans une étude prospective, ils sont apparus chez 5 % des patients. Les formes graves sont plus rares mais peuvent comporter des dégâts considérables. Cet effet indésirable est probablement dose-dépendant, il est observé plus fréquemment chez les patients sous deux fois 20 mg par jour que chez ceux recevant deux fois 10 mg/j, mais d’une manière générale la dose de deux fois 20 mg est plus souvent prescrite. Le mécanisme de ces ulcères est mal connu. Le mode d’action du nicorandil est original : il combine un effet nitré retard à une stimulation des canaux potassiques.
Pour autant le nicorandil n’a pas été supprimé de la pharmacopée car c’est un des rares anti-ischémiques prescrits dans l’angor stable à avoir un niveau de preuve élevé. Dans l’étude IONA, les patients avec angor stable traités par un traitement conventionnel + nicorandil présentaient un critère principal (décès coronariens, infarctus, hospitalisation pour angor) dans 13,1 % des cas contre 15,5 % dans le groupe recevant traitement conventionnel + placebo (p = 0,01). La diminution du critère principal reposait essentiellement sur la prévention des hospitalisations liées à l’angor.
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