LE QUOTIDIEN : Prévoyez-vous de communiquer les conclusions des deux comités d’experts au sujet des causes du décès de M. Claude Dany, le patient sur lequel a été effectuée l’implantation de la bioprothèse Carmat, ou attendrez-vous d’avoir mené les trois essais suivants pour faire le point ?
Pr Alain Carpentier : L’essai clinique porte sur quatre patients. Les conclusions de cet essai seront communiquées dans le respect des réglementations en vigueur. Il est très inhabituel de communiquer les résultats d’un essai patient par patient.
Allez-vous solliciter une nouvelle autorisation auprès de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) et un nouvel avis favorable auprès du CPP (Comité de protection des personnes) pour poursuivre les essais cliniques ?
La société CARMAT, en tant que promoteur de l’étude clinique, va en effet demander une autorisation de reprise des inclusions auprès de l’ANSM et du CPP, conformément à la réglementation.
Quel calendrier prévoyez-vous pour ces quatre essais et pour la première série des vingt implantations ? Quelle échéance envisagez-vous pour le marquage CE ?
Il est trop tôt pour répondre à ces questions, le principe de l’investigation clinique étant de procéder pas à pas en tenant compte, pour chaque nouvelle implantation, des enseignements tirés des implantations précédentes.
Confirmez-vous que la phase de recherche-développement est, en l’état, bouclée ?
En matière d’innovation scientifique et médicale, la phase de recherche-développement n’est jamais bouclée. Elle se poursuit parallèlement aux résultats des implantations cliniques, prenant en compte ces résultats et les besoins des malades.
Attendez-vous des développements ultérieurs au sujet des batteries, du poids et du volume de la bioprothèse ?
La phase de recherche et développement définie plus haut étudiera toutes les améliorations souhaitables de la bioprothèse, les classant par ordre d’importance et de faisabilité.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi il y a « innovation de rupture » avec la bioprothèse par rapport aux prototypes précédemment expérimentés ?
Cette prothèse représenterait des innovations décisives en deux domaines : d’une part, la physiologie cardio-mimétique concernant notamment le mode de contraction visco-élastique et la régulation médicale y compris sympathique. D’autre part, les biomatériaux de type bioprothétiques qui ont fait la preuve d’une meilleure hémocompatibilité par rapport aux matériaux synthétiques antérieurs pour les valves cardiaques mais pas encore dans la configuration d’un cœur artificiel qui met en œuvre une quantité de matériaux bioprothétiques environ 7 fois supérieure.
L’objectif est de réduire les complications et d’assurer une bonne qualité de vie pour permettre à la bioprothèse d’être prescrite en tant que remplacement cardiaque à visée définitive et non plus en relais à la transplantation.
Considérez-vous que les travaux sur la bioprothèse doivent être menés prioritairement aux recherches sur les traitements médicamenteux d’accompagnement des greffes ?
Le cœur artificiel total définitif n’a pas pour vocation de remplacer les transplantations cardiaques mais de les compléter en palliant le manque de greffons et en répondant aux besoins de malades qui ne sont pas éligibles à la transplantation.
Quels critères de sélection des patients retenez-vous ?
Les critères de sélection des malades, agréés par l’ANSM, n’ont pas besoin d’être changés. Ils sont à la fois suffisamment précis et souples pour donner aux malades les meilleures garanties de succès et de sécurité.
Vous parait-il dans l’ordre des choses que l’implantation des bioprothèses, à terme, fasse l’objet d’un remboursement par la Sécurité Sociale ?
Dans la mesure où le cœur artificiel aura montré son efficacité dans la prise en charge de certains malades, il sera normal de solliciter le remboursement – en France et dans d’autres pays – de cette technique qui, à terme, grâce à l’absence d’immunosuppresseurs, a vocation à être moins coûteuse qu’une transplantation ou que la seule prise en charge médicale de malades souffrant d’insuffisance cardiaque terminale.
Comment envisagez-vous la question de la fin de vie de patients dont la bioprothèse continue à fonctionner en situation de mort clinique ?
Je rappelle que la définition de la mort se fonde sur la mort cérébrale et non sur la mort cardiaque mais je reconnais que cette question nécessite une réflexion approfondie.
La protection industrielle implique des clauses de confidentialité ; comment arbitrez-vous cette exigence avec les règles de communication scientifique ?
Ceci est une vraie difficulté à laquelle nous étions insuffisamment préparés. L’éthique médicale impose que les médecins doivent au malade et à sa famille une information la plus complète et la plus humaine possibles. Les impératifs industriels imposent plutôt des réserves. Pour pallier cette difficulté, j’ai constitué avec mes partenaires industriels une charte de communication dont le principe de base est l’information mutuelle avant toute communication. Ce n’est pas si facile à respecter lorsque l’équipe médicale est soumise aux pressions des médias qui, eux-mêmes, ont des règles et des attentes différentes. Par ailleurs, toute démarche de recherche scientifique doit faire l’objet de communication dans les journaux scientifiques spécialisés.
Que répondez-vous aux médias qui déplorent les zones d’ombre dans l’information sur la bioprothèse ?
Il n’y a pas d’ombres voulues mais des questions en cours de résolution. Ce travail impose silence et réflexion. Les médias ont tout à gagner d’un partenariat où la fiabilité des informations l’emporte sur le hâtif et le spectaculaire.
L’extrême médiatisation est-elle de nature à compliquer les avancées de Carmat ?
L’extrême médiatisation est en effet contre-productive. Les interactions entre la bioprothèse, le patient et son environnement sont complexes. Les raccourcis compromettent une bonne compréhension par le grand public.
Les enjeux boursiers et les enjeux économiques massifs ne risquent-ils pas de constituer une entrave à vos travaux ?
Si la Bourse n’existait pas, la bioprothèse CARMAT n’existerait pas. Je lui suis donc reconnaissant.
Fort de votre expérience concernant les valves biologiques, estimez-vous que votre bioprothèse pourra rester française ?
C’est un souhait que j’avais fait partager à Jean-Luc Lagardère, qui ne peut tenir qu’un certain temps. Mais 25 ans, c’est déjà pas mal !
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