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Dossier

Journée internationale des maladies rares

Maladies rares : l'errance diagnostique, problème n° 1 des patients

Par Damien Coulomb - Publié le 28/02/2019
Maladies rares : l'errance diagnostique, problème n° 1 des patients

EV MALADIES RARES
SEBASTIEN TOUBON

Selon l'enquête sur l'errance diagnostic Erradiag de 2016, seule une personne atteinte de maladie rare sur deux dispose d’un diagnostic précis, et la recherche du diagnostic dépasse 5 ans pour plus d’un quart d’entre eux. Les deux premiers plans maladies rares (2005-2008 et 2011-2016) ont acté la création des filières maladies rares et des protocoles nationaux de diagnostic et de soins (PNDS), mais cela n’a pas mis un terme à l'errance diagnostique qui reste le problème numéro un des malades. L'axe 1 du troisième plan (PNMR3) adopté en juillet dernier, reste consacré à à ce difficile problème.

On appelle errance diagnostique la période allant de l’apparition des premiers symptômes à la date à laquelle un diagnostic précis est posé. Si un diagnostic reste impossible malgré la mise en œuvre de l’ensemble des investigations disponibles en l’état de l’art, on parle alors d'impasse diagnostique.

L’étiologie de toutes les maladies rares affectant principalement un même organe peut être très variable, même si des manifestations cliniques proches en sont les premiers signes. Ainsi au sein d'une même filière comme la FIMARAD (filière santé maladies rares dermatologiques) qui regroupe plus de 500 entités cliniques différentes, les situations sont très diverses. « Dans 80 % des cas, les patients souffrent de génodermatoses, mais on observe aussi les maladies d'origine auto immune et les allergies médicamenteuses sévères explique le Pr Christine Bodemer, chef du service de dermatologie de l'hôpital Necker Enfants Malades et animatrice de la filière FIMARAD. En général, les maladies génétiques de la peau débutent précocement dans la petite enfance, voir à la naissance, et les premiers symptômes se dépistent rapidement. Beaucoup de ces génodermatoses restent cependant des impasses diagnostiques.  Les maladies auto-immunes bulleuses, ou les toxidermies sévères s’observent davantage chez l’adulte. Mais ce n’est pas toujours le cas : les premières manifestations de génodermatoses peuvent survenir à l’âge adulte, et à l’inverse maladies auto-immunes bulleuses et toxidermies sévères peuvent aussi s’observer chez l'enfant. Le diagnostic de toutes ces maladies rares de la peau peut donc être complexe.

Des erreurs de diagnostic qui coûtent

Maladies rares auto-immunes de la peau qui se déclarent au-delà de 60 ans, les pemphigus et pemphigoïdes sont emblématiques des pathologies où l'errance diagnostique est lourde de conséquences. Les premières lésions, observées au niveau des muqueuses buccales, sont d'abord prises pour des mycoses, de l'herpès ou encore une maladie de Behçet. « Les dentistes et les personnels des EHPAD ne connaissent pas cette maladie, explique Josée de Felice, présidente de l'association pemphigus pemphigoïde France. Ce n’est que lorsque la maladie s’étend à la peau que les malades peuvent être amenés à voir un dermatologue qui peut poser un diagnostic sur la base d’une biopsie de peau ».

Un traitement immunosuppresseur permet de guérir de la maladie. Chaque forme de pemphigus (vulgaires, superficiels, paranéoplasique) ou de pemphigoïdes (pemphigoïdes bulleuses, cicatricielles, épidermolyse bulleuse acquise) dispose d'un « immunosuppresseur de référence » plus efficace que les autres, mais une errance thérapeutique de plusieurs années augmente le risque d'apparition de lymphocytes T mémoire capables de la chroniciser. La distinction entre les différentes variantes nécessite la combinaison d'un microscope électronique et de l'expertise d'un spécialiste issu d’un centre de compétence ou de référence, pour mesurer la profondeur à laquelle si situe le décollement entre derme et épiderme.

Le diagnostic est encore compliqué par le fait que d'autres maladies rares sont parfois qualifiées à tort de Pemphigus bénin familial : les maladies de Hailey-Haley et de Darier. « Il s'agit en fait de maladies génétiques qui se déclarent tardivement, nous explique Aurore Bouleau, présidente de l'association française Hailey-Hailey Darier (AFRHAIDA). La cortisone, recommandée dans les pemphigus, fait au contraire flamber nos maladies ».

La situation est un peu meilleure pour les génodermatoses telles que les Ichtyoses, dont les gènes responsables sont connus. « Il reste des disparités territoriales, mais l’errance de soins était bien plus importante il y a encore 5 ou 10 ans », se souvient, Anne Audouze, présidente de l'association Ichtyose France.

Parcours pluridisciplinaire

Une fois le diagnostic de maladie rare de la peau établi, plusieurs jours sont parfois nécessaires pour évaluer correctement un protocole de soins adapté, mais aussi personnalisé en particulier pour le traitement de la douleur, au sein de la FIMARAD. C'est aussi à ce moment-là que les spécialistes de proximité, voire l'HAD, sont contactés pour préparer le suivi à long terme, même en dehors des centres de compétences parfois éloignés du domicile du malade.

Même en l'absence de traitement curatif, la qualité de la prise en charge bénéficie d’un diagnostic précoce. « Des traitements émollients améliorent la meilleure qualité de vie, explique le Pr Bodemer. Ces affections s'accompagnent de douleurs intenses, traitées par des combinaisons de morphine et d'antalgiques. La souffrance psychologique est parfois plus intense que la douleur physique. » Un diagnostic correctement posé permet aussi faire du conseil génétique, du conseil pré conceptionnel, ou du dépistage prénatal en cas de projet parental.

Que faire pour réduire l'errance ?

Prévu dans le PNMR3, un registre national des personnes en impasse diagnostique doit permettre de réexaminer des dossiers des personnes malades non diagnostiquées au fur et à mesure de l’évolution des connaissances et des technologies. Ce registre aidera à la réalisation de travaux de recherche sur les impasses diagnostiques et sera associé chaque fois que possible à des bio-banques déjà constituées.

Dans leur ensemble, les acteurs des maladies rares plaident pour inscrire la « culture du doute » chez les médecins de ville, invités à se poser la question de l'éventualité d'une maladie rare face à une pathologie qu'ils ne parviennent pas à traiter.

« L'enseignement autour des maladies rare n'est pas très bien fait dans les cursus de médecine, reconnaît le Pr Bodemer. L'organe peau en lui-même et sa physiologie ne sont pas assez bien enseignés chez les paramédicaux alors qu'une simple perfusion sur une peau qui se décolle peut nécessiter une manipulation sous morphine et un protocole de désinfection particulier. »

 

Damien Coulomb