La médecine prédictive plane comme une menace dans l’horizon de la profession.
Les tests génétiques accessibles (illégalement) sur internet cristallisent peurs et fantasmes, en chamboulant le colloque singulier, la notion de consentement éclairé et le principe d’égalité dans l’accès aux soins. Sous la pression conjuguée des espoirs des patients et de l’intérêt financier des firmes internationales « la boîte de Pandore est ouverte », juge le Dr Isabelle Bohl, rapporteur de la commission nationale permanente de l’Ordre des médecins sur ce sujet.
Adapter les médicaments, établir des portraits-robots...
Les tests ADN en vente sur la Toile sont loin d’être l’alpha et l’oméga de la médecine prédictive. Ce terme recouvre d’abord le diagnostic présymptomatique pratiqué depuis les années 1990, explique le Pr Alain Verloes, chef du département de génétique médicale à l’hôpital Robert Debré (AP-HP). Très encadré, il permet d’anticiper et de prévenir des pathologies, comme le cancer du sein chez des femmes porteuses de mutations dans les gènes BRCA1 et 2 (comme l’actrice Angelina Jolie).
La médecine prédictive, ce sont aussi des tests ciblés évaluant la prédisposition à développer une maladie complexe dont on sait qu’un déterminant génétique est facteur de risque (la thrombophilie par mutation du facteur V). D’autres sont utilisés en pharmacogénomique pour adapter les traitements en fonction de la capacité d’un patient à les digérer (notamment les anticancéreux).
« Cette médecine prédictive ne sert pas à faire de la prédiction mais peut se révéler très utile pour adapter les médicaments et aller vers la médecine génomique personnalisée », précise le Pr Verloes.
À côté des acceptions vertueuses de la médecine prédictive, d’autres sont plus branlantes scientifiquement et contestables sur le plan éthique, comme la possibilité de passer du génotype au phénotype. « Cela peut être intéressant dans la police pour établir des portraits-robots, mais cela conduit des sites internet à proposer de définir sa "tribu"» indique le Pr Verloes. Quant aux tests en vente libre aux États-Unis, « ils n’ont aucune valeur scientifique et ne livrent qu’un risque relatif faible qui, en terme de comportement, revient à déconseiller le tabac, le gras et l’alcool », commente-t-il.
Le médecin, un simple mécanicien ?
Il y aurait de quoi sourire si ces tests ne bousculaient pas certains paradigmes. Pour l’anthropologue Sylvie Fainzang, la médecine prédictive réduit l’homme à ses gènes, faisant fi des autres dimensions (environnementale, sociale, personnelle, historique) des maladies. « L’homme devient un tout biologique » dit-elle. Face à cet « homme machine », le médecin risque fort d’être réduit à un mécanicien...
Le praticien doit au contraire retrouver un rôle crucial, estime l’anthropologue. Il lui incombe d’aider le patient à analyser les probabilités (les tests n’indiquent qu’un risque relatif), à prendre du recul, à rassurer et à conseiller le malade. « Cela suppose aussi qu’il y ait une vraie relation de confiance pour que le patient parle de sa démarche d’autotest » souligne Sylvie Fainzang.
D’autres questions lourdes se posent : les inégalités entre ceux qui maîtrisent cette approche médicale prédictive et les autres, le coût des nouvelles technologies, ou encore toutes les stratégies de sélection des risques que pourrait développer le monde assurantiel.
Pour l’heure, les lois de bioéthique font office de garde-fous. Mais demain ? « Avant d’aller vers des êtres génétiquement modifiés, il faut un consortium pour nous empêcher de faire tout ce qui est techniquement possible » souligne le philosophe Pierre Le Coz, spécialiste de l’éthique.
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