« On est passé du tout génétique à l’expression des gènes en fonction de l’environnement », a dit en ouverture de l’audition publique le député Jean-Yves Le Déaut, président de l’OPECST, et professeur de biochimie. Cet essor de l’épigénétique conduit à repenser le biologique et le fonctionnement du vivant. « C’est un virage, une rupture scientifique très importante », analyse le Pr Thierry Lang* (INSERM-Toulouse 3). La binarité de l’inné et l’acquis, de la nature et de la culture, ou de l’intérieur et de l’extérieur devient caduque, cédant la place à des trios : génome, épigénome, environnement, ou santé, environnement, social.
« Il faut penser l’environnement du gène au pluriel », exhorte Jean-Claude Ameisen, président du comité consultatif national d’éthique.
Une connaissance parcellaire
Sur le plan scientifique, la connaissance de l’épigénétique est lacunaire. L’obésité, avec ses causes génétiques, qui joueraient à 30 ou 40 %, et environnementales, responsables à 70 %, interroge encore, illustre le Pr Claudine Junien (Académie de médecine/INRA). Autre champ de recherche, le poids des facteurs environnementaux sur les périodes de développement de l’homme, notamment la première enfance, voire le fœtus. L’organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé en 2010 l’initiative « 1000 premiers jours », reprise en France par l’ONG SF-DOHaD (origines développementales de la santé), présidée par le Pr Junien. « Au cours de la gestation, lorsqu’il y a un épisode de sous-nutrition du fœtus, on observe de nouvelles marques épigénétiques », explique la généticienne à titre d’exemple. Similairement, « l’interaction d’un certain stress dans l’enfance lors d’une fenêtre particulière sur un certain gène peut provoquer une méthylation d’un allèle spécifique et conduire plus tard à un état de stress post traumatique (PTSD) », poursuit le Pr Junien. Mais les liens de causalité sont difficiles à établir. « Il y a une dynamique des marques ; elles ne sont pas toutes réversibles », précise-t-elle.
Malgré ces inconnues, l’épigénétique donne un éclairage différent à ce que l’on sait par ailleurs, via l’épidémiologie notamment : qu’il y a un gradient social de la santé, « une incorporation biologique du social : l’expérience pénètre sous la peau », dit le Dr Cyrille Delpierre, coordinateur du projet IBIS (incorporation biologique et inégalités sociales de santé). « Les mécanismes de l’épigénétique contribuent à expliquer le lien entre le social et le biologique, et remettent dans la balance le poids des environnements », déclare le chercheur.
Approche probabiliste et populationnelle
Ces progrès de la recherche enjoignent à repenser les politiques publiques. La France en a pris note. Le projet de loi de modernisation de notre système de santé intègre la notion d’exposome*, consacre un chapitre entier à la prévention et se soucie de la démocratie sanitaire. Le bisphénol A est interdit dans les biberons depuis 2010, et dans tout contenant alimentaire depuis 1er janvier 2015. Et les phtalates ne sont plus autorisés dans le matériel de néonatalogie depuis juillet dernier.
Mais la réflexion éthique ne doit pas s’arrêter en chemin. « Le concept d’exposome est encore trop centré sur l’individu », souligne Jean-Claude Ameisen. Dans une perspective réductrice, l’épigénétique glisse vers la prévention seulement individuelle, pour le meilleur (médecine personnalisée, thérapies ciblées) et le pire, la stigmatisation et la culpabilisation (en particulier, des mères). Sans parler du risque d’aggraver les inégalités sociales de santé.
Les chercheurs appellent plutôt à conjuguer l’épigénétique à l’épidémiologie pour agir en santé publique, dans une approche probabiliste et populationnelle. Concrètement, cela doit se traduire par des politiques de prévention précoce, avec prise en compte de la spécificité de certaines situations de vulnérabilité. Face à l’importance cruciale de la toute première enfance, « il y a une négligence de l’enfance dans notre pays », constate le Pr Thierry Lang. « Au-delà de la cohorte Elfe, il n’y a aucune unité de recherche sur le développement de l’enfant et de l’adolescent normal », déplore-t-il, signalant également les difficultés de la protection maternelle et infantile.
Enfin, l’épigénétique nous interroge sur la justice et la responsabilité au sein et entre les générations. « Il faut réintroduire une responsabilité politique et collective par rapport aux environnements. Le modèle de justice doit être multifactoriel, intra et inter-générationnel, et envisager tous les aspects de l’existence », invite Caroline Guibet-Lafaye (CNRS, Centre Maurice Halbwachs).
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