La iatrogénie médicamenteuse est très prévalente parmi les sujets âgés avec des effets indésirables médicamenteux (EIM) « qui toucheraient 8 à 10 % des sujets âgés robustes, 15 à 30 % des personnes présentant un syndrome gériatrique, voire un patient sur deux en Ehpad », estime le Pr Jean-Baptiste Beuscart (gériatre au CHU de Lille).
Une part significative de ces EIM sont associés à des prescriptions inappropriées et notamment à une sur-utilisation (overuse) de certains médicaments. Un phénomène qui pourrait concerner près d’un tiers des plus de 75 ans .
En cause : le cumul de morbidités qui peut accompagner l’avancée en âge. « Plus on est malade, plus on reçoit de médicaments, et plus le risque de prescription inadaptée augmente », résume Jean-Baptiste Beuscart. Or les référentiels de bonnes pratiques cliniques prennent rarement en compte la multimorbidité. Par ailleurs, les changements physiologiques survenant avec le vieillissement peuvent renverser le rapport bénéfices/risques de certains médicaments – comme l’hydroxyzine à éviter dans le traitement de l’anxiété du sujet âgé (élimination diminuée et risque accru d’EI notamment anticholinergiques).
Ainsi, « appliquer à la lettre les recommandations prévues pour des adultes plus jeunes peut mener à des prescriptions inappropriées », prévient le Pr Beuscart.
Centraliser les informations
Dans ce contexte, la déprescription (soit retirer des ordonnances des médicaments potentiellement inadaptés), est de plus en plus dans l’ère du temps. Mais pas si simple, en pratique, de bien déprescrire.
La situation des patients (comorbidités présentes, traitements prescrits, traitements réellement pris, etc.) est à considérer dans sa globalité. Mais « avoir, seul, la connaissance actualisée de toute la prise en charge d’un patient est parfois impossible », reconnaît le Pr Jean-Baptiste Beuscart, qui encourage à contacter les autres professionnels de santé. Et notamment les pharmaciens, qui ont « souvent une bonne idée de toutes les prescriptions, de l’observance aux traitements, des pratiques d’automédication, etc. ».
Reste ensuite à repérer dans l’ensemble des prescriptions, celles potentiellement éligibles à un arrêt. À commencer par d’éventuels doublons. « Il arrive par exemple que deux benzodiazépines différentes soient prescrites, éventuellement sur deux supports différents », illustre le Pr Beuscart. À traquer également, les traitements maintenus trop longtemps sans indication apparente (IPP, antibiotiques, etc.). Des situations favorisées par des renouvellements trop systématiques, qui peuvent faire le lit d’accoutumances. À ce titre, le gériatre rappelle « la situation délicate des benzodiazépines et hypnotiques maintenus au long cours ».
La déprescription peut être mise sur la table à chaque fois que la situation du patient évolue
Sont aussi concernés les médicaments prescrits à des posologies trop élevées, situation d’autant plus fréquente que les doses recommandées peuvent baisser avec l’avancée en âge. Dans ce cas, la déprescription ne consiste pas forcément à retirer le médicament, mais plus à lever le pied sur les posologies, notamment selon la fonction rénale « Il y a encore régulièrement des alertes concernant des acidoses lactiques enregistrées chez des personnes âgées sous metformine », déplore Jean-Baptiste Beuscart.
La déprescription peut aussi être ponctuelle, notamment lors de pathologie aiguë intercurrente. Par exemple, dans ces circonstances, « mieux vaut parfois réduire ou suspendre les anti-hypertenseurs, car certains patients peuvent subir d’un coup une chute drastique de leur tension artérielle pendant plusieurs semaines – avec un risque d’asthénie, de dénutrition et de chute ».
Réévaluer régulièrement
En termes de timing, la déprescription peut être évoquée à chaque évolution ponctuelle ou durable de la situation des patients. « Souvent, les prescriptions sont appropriées au moment de l’introduction des traitements, mais quelques années plus tard, l’apparition de troubles cognitifs, par exemple, peut amener à en requestionner le bien-fondé », souligne Jean-Baptiste Beuscart.
La question doit se poser aussi pour les médicaments prescrits au long cours à titre préventif comme les statines. Même si, « certains patients réagissent vivement à la déprescription de ces traitements, comme si on leur avait dit : "maintenant, vous êtes trop vieux " ».
A contrario, le questionnement de l’ordonnance peut constituer l’occasion d’introduire d’autres médicaments adaptés à l’âge de la personne – comme une supplémentation en vitamine D. Car la déprescription n’est pas une fin en soi : l’objectif reste l’optimisation médicamenteuse, qui inclut non seulement la déprescription des médicaments inappropriés, mais aussi l’introduction de ceux indiqués mais non prescrits, ou à trop faible dose – soit des situations de sous-usage (underuse). D’autres dimensions de l’optimisation médicamenteuse concernent l’adaptation des plans de prises et des galéniques aux personnes âgées, les traitements inhalés, par exemple, pouvant devenir difficiles à manipuler.
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