Malgré de profonds changements dans l'assistance médicale à la procréation (son ouverture aux femmes seules, l'autoconservation ovocytaire pour toutes, etc.), la dernière révision des lois de bioéthique laisse les professionnels de la procréation sur leur faim. Réunis à l'occasion de la journée Gynfoch le 11 mars dernier*, plusieurs spécialistes ont regretté le maintien de l'interdiction du diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies embryonnaires (DPI-A).
Le DPI-A consiste à détecter les anomalies du nombre ou de la structure des chromosomes de l'embryon dans le cadre d'une fécondation in vitro (FIV) et à savoir si la constitution chromosomique rend l'embryon viable ou non. L'objectif est d'optimiser les chances de grossesse par transfert et de diminuer le risque de fausses couches.
Si le DPI-A n'a jamais été autorisé en France (contrairement à l'étranger), un diagnostic préimplantatoire (DPI) peut être proposé (depuis 1999) aux couples ayant « une forte probabilité de donner naissance à un enfant atteint d'une maladie génétique d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». Réalisé dans six centres en France (Nantes, Grenoble, Montpellier, Strasbourg, Paris, Clamart), il permet de repérer plusieurs pathologies rares, comme la mucoviscidose, la myopathie de Duchenne, l’hémophilie, la dystrophie myotonique de Steinert, le syndrome de l’X fragile, les déséquilibres chromosomiques liés aux trans-
locations, etc. Une liste volontairement non close, la recherche en génétique évoluant sans cesse.
Savoir avant l'implantation
Les professionnels de la reproduction dénoncent une certaine incompréhension autour du DPI-A - en particulier lors des débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la loi de bioéthique. « Le DPI-A n'a pas vocation à modifier ou améliorer les embryons : il permet d'éviter de congeler ou de transférer un embryon mal constitué qui ne va pas s'implanter ou qui va donner une fausse couche. On évite une fausse couche pour rien ! », insiste le Pr René Frydman, gynécologue-obstétricien. Et si le DPI-A repère une trisomie, « on informe les couples, et ce sont eux qui décident du transfert ou non d'un tel embryon », poursuit-il, soulignant que savoir permet de mieux accueillir l'enfant.
À noter, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), dans l'avis 138 publié en février dernier, a regretté que le chiffon rouge de l'eugénisme ait pu être agité au sujet de la médecine reproductive, et plus particulièrement du DPI-A lors de la loi de bioéthique, puisqu'il est question de sélectionner des embryons, non pas en fonction du désir des parents, mais en fonction de leur viabilité, qui ne remettent pas en cause l'intégrité de l'espèce et ne transmettent pas à la descendance des caractères génétiques modifiés.
Les spécialistes considèrent en outre qu'il serait préférable de repérer de telles anomalies avant le transfert d'embryon, plutôt que lors d'un diagnostic prénatal (DPN) réalisé en cas d'alerte. « Nous préférons regarder les aneuploïdies en amont d'un transfert : la femme aura l'information avant d'être enceinte, plutôt que pendant la grossesse. Cela peut permettre d'éviter des situations extrêmement douloureuses où la femme va faire une interruption médicale de grossesse (IMG) en raison d'une trisomie », rapporte la Dr Marine Poulain, responsable de l'unité de biologie de la reproduction à l'hôpital Foch. « D'autant que les couples sont déjà très éprouvés par les parcours d'infertilité », ajoute-t-elle.
Tourisme médical
Pour rappel, plus de 95 % des DPN pour la trisomie 21 conduisent le couple parental à décider une IMG ; et la trisomie 21 est le motif le plus fréquent conduisant un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) à proposer une IMG pour motif chromosomique (près de 57 % des attestations pour ce motif ; 18 % pour trisomie 18 et 8 % pour trisomie 13).
« Interdire le DPI-A en France, c'est favoriser le tourisme à l'étranger, très inégalitaire puisque les personnes qui n'ont pas les moyens resteront en France », a enfin déploré le Pr Samir Hamamah, responsable du département de biologie de la médecine de la reproduction du CHU de Montpellier, chargé de l'élaboration d'une stratégie nationale de lutte contre l'infertilité.
À défaut d'autoriser le DPI-A, le législateur a autorisé un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) pour évaluer l'intérêt d'identifier des aneuploïdies sur biopsie de trophectoderme, afin d'améliorer le taux de naissances après FIV. L'étude prospective randomisée, multicentrique, intitulée Devit, est pilotée par la Pr Catherine Patrat (Cochin, AP-HP). En parallèle, le service de la Dr Poulain participe à l'essai clinique Embrace, porté par une équipe espagnole (Igenomix), et qui vise à valider une méthode non invasive d'analyse du potentiel embryonnaire.
*Journée organisée sous l'égide du service de gynécologie-obstétrique et médecine de la reproduction de l'hôpital Foch à Suresnes
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