La politique de dépistage du gouvernement étrillée devant la commission d'enquête du Sénat

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Publié le 11/09/2020

Crédit photo : AFP

« Avec les masques, la politique des tests est l'autre grand fiasco du gouvernement dans la gestion de la pandémie de Covid-19 ! » Dès sa première phrase, le sénateur LR de la Marne, René-Paul Savary, annonce la couleur : le ton sera critique lors de la table ronde sur la politique de dépistage, organisée dans le cadre de la commission d’enquête pour l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies.

Trois doléances ont principalement émergé lors des débats : les blocages administratifs gênant la montée en puissance des capacités de tests, l'absence de stratégie claire et l'allongement des délais de rendez-vous et de rendu des résultats. « La question du délai est cruciale, vitupère René-Paul Savary. On ne voit pas très bien quel est l’intérêt d'avoir une capacité de 1 million de tests par semaine si l'on doit attendre plus d'une semaine pour avoir le résultat. »

« Nous subissons des décisions politiques qui nous noient complètement, s'est justifié François Blanchecotte, président du syndicat des biologistes médicaux. Dans la région Centre-Val-de-Loire, on vient de nous demander de dépister tous acteurs du champ médico-social. La préfecture vient d'évoquer qu'il faudra dépister tous les étudiants de Tours et, avec la rentrée, on doit dépister des classes entières pour éviter que des écoles ferment. On n’y arrivera pas !!! » Conséquence de ces multiples sollicitations et de la possibilité offerte aux Français d'aller se faire dépister sans rendez-vous ni ordonnance : « Un Français sur quatre vient juste pour se rassurer, certains plusieurs fois par semaine, explique François Blanchecotte. Les violences se multiplient à dans les laboratoires. Certains voyageurs ont besoin d'un test PCR négatif 48 ou 72 heures avant de prendre l'avion… Il faut des consignes claires quant à l'accès aux tests, et remettre les médecins au centre du jeu. »

Une filière de dépistage à revoir

Le Pr Bruno Lina propose plusieurs mesures pour optimiser l'utilisation de tests disponibles. « On doit prévoir deux filières différentes pour le dépistage et le diagnostic, précise-t-il. Le dépistage doit être fait par le médecin de ville en lien avec les services hospitaliers. Il faut aussi un inventaire de la puissance analytique pour chaque territoire. » Interpellé par le sénateur socialiste de Paris Bernard Jomier sur l'absence d'une telle doctrine huit mois après le début de l'épidémie, le Pr Lina a répondu qu'il « s'agit avant tout d'une décision de l'exécutif. »

Pour le Pr Philippe Froguel, directeur de l'Institut européen de génomique du diabète (EGID), « le droit d'accès aux tests PCR est désormais irréversible, affirme-t-il. Au lieu d'essayer de restreindre à nouveau l'accès des tests, il faut diversifier les fournisseurs et ne pas gérer la pénurie. Les laboratoires privés, qui font 90 % des tests en ce moment, doivent s'allier avec des spécialistes de la génomique. Les masques ne sont que des retardateurs de l'épidémie. »

Des blocages administratifs au plus fort de l'épidémie

Au cours de son témoignage, François Blanchecotte a insisté sur les blocages administratifs qui ont émaillé son parcours. « Le secteur privé n'était pas prêt, reconnaît François Blanchecotte. Les biologistes médicaux ne figurent pas dans le code de santé publique, nous étions donc en dehors du viseur du gouvernement en ce qui concerne, par exemple, l'attribution de masques et de gants. » La vitesse de réaction des laboratoires privés aurait également été, selon François Blanchecotte, handicapée par les lourdeurs administratives qui évoque un « goulot d'étranglement pour la commande de réactifs et de machine ».

Ces achats sont en effet soumis à une autorisation de la Haute Autorité de santé (HAS). Le 8 mars, une première liste de six fournisseurs est publiée au « Journal officiel », liste qui s'est étoffée par la suite. « Il s'agissait de fournisseurs asiatiques que nous ne connaissions pas, avec des quotas par pays, à qui nous nous sommes adressés dans un contexte de tension mondiale d'approvisionnement. »

Pour sa part, le Pr Froguel évoque un sous-emploi des moyens en PCR offerts par les laboratoires de recherche. Il accuse pêle-mêle les réticences des directions des CHU à signer des partenariats, le protectionnisme de certains biologistes médicaux. « Nous sommes entrés dans l'air des pénuries et le réglementaire ne peut pas continuer comme avant, a-t-il résumé. Seuls quelques laboratoires ont signé des partenariats, en général, il s'agissait de partenariat de sous-traitance pour ne pas froisser les biologistes hospitaliers. Mon propre laboratoire a signé un accord avec un groupe privé. »

Quelle place pour les nouveaux tests ?

Les sénateurs de la commission ont également questionné la place des nouveaux tests dans la stratégie : tests antigéniques et tests PCR salivaires. Le 28 août dernier, une correspondance publiée dans le « New England Journal of Medicine » présentait les résultats d'une comparaison entre tests PCR réalisés à partir de prélèvements rhinopharyngés et salivaires. Les résultats des deux groupes étaient similaires, mais « les prélèvements ont tous été faits au réveil et en milieu hospitalier, ce n’est pas la vie réelle !, prévient le Pr Lina. On sait que, dans la tuberculose, la salive est plus informative le matin que le reste de la journée. »

Concernant les tests rapides antigéniques, en cours d'évaluation à l'AP-HP mais aussi dans les Hospices civils de Lyon, le Pr Lina reste mesuré dans ses attentes : « J'ai tendance à ne pas croire les fournisseurs qui vendent du rêve. D'ici un mois, on saura où se positionne la sensibilité des tests antigéniques et comment les placer par rapport aux PCR classiques. »


Source : lequotidiendumedecin.fr