LE QUOTIDIEN : Vous êtes fils de médecin. Qu’avez-vous appris de votre père ?
Dr BRUNO FERRIEU : C’est un homme qui était disponible à tout moment. Ma chambre d’enfant était juste à côté de celle de mes parents et j’entendais mon père se lever la nuit, partir, revenir, repartir. Le dimanche, nous allions parfois à la chasse, et il ne se passait pas une demi-heure sans être appelé. Ce côté disponible à longueur de temps était remarquable et j’étais alors exactement comme mon fils par rapport à moi, c’est-à-dire avec la ferme intention de ne pas faire autant que mon géniteur.
Et effectivement, j’en ai fait moins que lui car je faisais partie d’un groupe de médecins et ne faisais que deux gardes de nuit par semaine et un week-end tous les mois. Mais on travaillait six jours sur sept et, si on était sorti trois-quatre fois dans la nuit, on était quand même au bureau dès huit heures du matin. Le repos de garde n’existait pas ; personne à l’époque n’aurait pensé à cette éventualité…
Je ne suis pas véritablement un scientifique et les découvertes ne me passionnent pas. Ce qui m’a vraiment enthousiasmé et donné envie d’être médecin, c’est le lien entre les patients et moi. J’étais très attaché à eux et quand quelque chose n’allait pas ou que l’on me reprochait des erreurs, j’étais très malheureux. Au départ, je voulais exercer à la campagne en Mayenne et je pensais que c’était le seul type de catégorie sociale qui pouvait me plaire. Finalement à la suite d'un remplacement, je me suis installé en Bretagne et j’ai découvert que partout où l’on va les gens sont attachants. La misère du monde est partout, même chez les milliardaires.
Vous dites avoir été très attaché au lien qui vous unissait à vos patients. Pensez-vous qu’avec la médecine en ligne qui se développe, ce lien est toujours présent ?
Ce côté-là a tendance à disparaître de plus en plus. Mais j’ai bon espoir que ça s’arrange. À la fin de ma carrière, je suis devenu maître de stage, j’ai eu des internes avec moi pendant six mois et j’ai été agréablement surpris par leur attitude. Ils étaient très dévoués et capables de s’attendrir lors de certaines situations. Je croyais avoir le monopole du cœur, ce qui n’est pas le cas, les jeunes sont très bien aussi. Je leur ai transmis un bon état d’esprit sur le terrain et non pas une connaissance livresque.
Quelquefois, il faut aller vite et il est bien de prendre des notes et quand la consultation est terminée, ne pas hésiter à reprendre ces documents et à rappeler les gens même si ça conduit à des horaires tardifs. La médecine sacerdotale comme la pratiquait mon père n’est plus d’actualité. Les jeunes privilégient davantage leur vie de famille et ont beaucoup plus d’exigences sur les congés, le temps libre et la récupération. Mais si les médecins veulent gagner plus d'argent, ils doivent travailler plus.
Il n’existe pas de formation en psychologie au cours des études de médecine. Pensez-vous que ce serait utile ?
Oui, tout à fait car on fait parfois des gaffes. On est malhabile, mal à l’aise. On a mal écouté, mal entendu, on est parti sur une mauvaise piste. En médecine générale, l’interrogatoire est extrêmement important. Les gens qui nous font des procès ou une tentative de procès qui se terminent la plupart du temps par un non-lieu n’ont pas complètement tort.
Si les gens ont recours aux médecines naturelles, c’est la faute des généralistes. S’ils ne prennent pas le temps d’écouter et de prendre en compte les problèmes autour du symptôme, les patients seront toujours insatisfaits et auront toujours recours aux médecines douces dont la force réside dans une meilleure écoute.
Lors de mes consultations, je finissais toujours très tard et très en retard. Lorsque je m’en excusais auprès de patients, ils me disaient « je sais que si c’est important, vous prenez votre temps. » Cela faisait bien plaisir. Trop d’examens un peu superflus ? Oui, effectivement. Si le patient demandeur n'est pas convaincu par mes explications, je ne vais pas insister. Sinon, il aura le sentiment d'être mal soigné. Dans le serment d’Hippocrate, on doit tout mettre en œuvre pour ses patients.
Vous avez travaillé en Ehpad. Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?
Pour moi les maisons de retraite c’est l’avenir des médecins généralistes. Nous avons un champ d’action énorme et toute liberté d’action. On ne va pas forcément déclencher des soins très sophistiqués. Lors de ma formation pour être capacitaire, j’ai appris la spécificité des personnes âgées, à relativiser, à avoir une vision d’ensemble. J’ai engrangé beaucoup de savoir.
En gériatrie, on est davantage confronté à la mort, donc on ne va faire que des actions qui servent à quelque chose. On ne va pas chercher à se protéger, à tirer des parapluies. L’enquête de ce journaliste qui a sorti un livre sur les maltraitances en Ehpad m’a beaucoup affecté. Je n’ai jamais rencontré cette situation-là.
Pour finir comment jugez-vous la condition actuelle des médecins ?
Ce que je veux surtout faire ressortir dans mon livre, c’est un peu la nostalgie de ce métier que j’ai tant aimé. Je veux faire prendre conscience que ce n’était pas mieux avant, même si tout le monde a tendance à le prétendre. Du temps de mon père, les gens pouvaient être très agressifs.
Si les médecins veulent bien lire mon livre, ils se rendront compte qu’exercer ce métier, c’est plus facile de nos jours, beaucoup plus. En tout cas dans certaines régions privilégiées, c’est vrai. Je dis que notre situation n’a jamais été aussi bonne. Mais actuellement, il faut se plaindre, affirmer que nos horaires sont ridicules, que notre vie est épouvantable…
*Médecin et patient(s) !, chroniques d'un médecin généraliste, Dr Bruno Ferrieu, illustrations de Marguerite Ferrieu, Mareuil Éditions, 169 pages
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024