Le moment
Le moment de l’annonce du diagnostic de MA est un moment difficile. Il est fort souhaitable que le généraliste – médecin de famille soit celui qui réalise cette première étape. Chaque mot est significatif et une petite maladresse de la part du médecin peut engendrer un choc psychique et/ou des réactions inappropriées. Or, la connaissance préalable par le médecin de la personne atteinte, de sa famille et de leurs éventuelles réactions facilite cette étape. La MA débute bien avant d’arriver au cabinet médical, par des troubles comportementaux et des conflits engendrés au sein du foyer. La personne atteinte est la première à être consciente de son état et à être emportée par l’anxiété. Dans une grande majorité des cas, elle s’enferme dans le déni, attribue ses oublis et ses erreurs aux autres, les en accusant. Cet état peut durer longtemps avant que l’entourage ne réalise qu’il est face à une maladie. Il empire lorsqu’il s’agit d’un vieux couple sans enfant ou dont les enfants sont loin. Ce n’est que lorsque le malade se met ou met les autres en danger que l’on pense à consulter. À l’heure du diagnostic, le malade est psychologiquement fragilisé et sa famille épuisée. Mettre un nom sur cet enchevêtrement de troubles comportementaux et de souffrances mutuelles soulage donc les deux parties - malade et entourage et met fin à cette situation catastrophique que sont les accusations mutuelles. Mais que dire ? Et comment le dire ?
Un entretien prolongé
Pas d’annonce par téléphone ou entre deux portes mais un entretien calme et rassurant. Dès l’annonce, le malade demande tout de suite « C’est quoi » ? Et enchaîne « Vais-je guérir ? ». De toute façon, en moins d’une minute, en raison de la perte de mémoire immédiate, il a oublié la réponse et répète ces questions « C’est quoi… ? » « Vais-je guérir ? » Plus le médecin est bref et pressé, plus l’angoisse du malade et de sa famille augmente. La plupart des maladresses et indélicatesses commises par certains médecins proviennent avant tout de leur gène par rapport à la pénibilité de l’annonce et du manque de disponibilité. Pourtant, dans la grande majorité des cas, au moment du diagnostic, le malade est déjà devenu dépendant de son entourage et la famille s’attend donc au pire. Les mots choisis pour l’annonce doivent être prudents : « Il est possible que » ou « C’est probablement… », laissant un peu d’espoir aux famille et dédramatisant la situation, permettant à chacun d’amortir le choc, de faire son deuil et de s’organiser.
Des mots soigneusement choisis
Le vocabulaire médicoscientifique (« dégénérescence neuronale », « démence » « génétique » etc.), générateur de confusion (qu’il existe un facteur génétique ne signifie pas que la maladie soit héréditaire par exemple) et d’anxiété doit être évité. Il convient de plus, d’informer le patient que sa maladie est somatique mais non douloureuse, qu’il ne s’agit pas d’« un cas psychiatrique » et de rassurer la famille sur le fait que leur parent « ne perd pas la tête » même s’il perd certaines de ses mémoires.
Le médecin doit aussi positiver autant que possible et mettre l’accent sur le fait que cette maladie n’est pas mortelle et qu’elle peut durer de longues années. Il rassure ainsi le patient tout en informant la famille de la nécessité de demander de l’aide sur le long terme. En effet, personne ne réussit à mener à terme seul l’accompagnement d’un malade d’Alzheimer sans mettre sa santé physique et morale en péril et abandonner forcément son proche malade à un moment ou à un autre. D’où la nécessité de passer régulièrement le relais. Dans les couples, la maladie d’un conjoint brise le projet de la vieillesse commune ; l’autre se sent seul, trahi, abandonné et souvent confronté à des difficultés financières. Les enfants sont eux aussi endeuillés et parfois en colère. L’image idéale du père ou de la mère est brisée. C’est pour toutes ces raisons que le médecin doit être vigilant envers le choix des d’informations à transmettre. Si la loi l’oblige à dire le nom de la maladie au patient, rien ne l’oblige à exposer les aspects les plus négatifs.
Le médecin doit également souligner l’absence de facteurs déclenchants ou étiologiques (sociaux, psychologiques, éducatifs etc. ) connus à ce jour. Il convient par ailleurs de rassurer le patient et son entourage sur le fait que cette maladie ne revient pas à « retomber en enfance » et qu’elle ne transforme pas la personne atteinte en « légume ». Si cela devenait le cas, ce serait parce que la prise en charge aura été mauvaise et l’entourage maltraitant, même sans en être conscient. Ces explications sont d’autant plus importantes que certains malades ont tendance à profiter de la situation en se disant : « J’ai perdu la tête, je ne suis plus responsable de mes actes, donc tout est permis » et évitent à l’entourage de blesser le malade en croyant qu’il ne comprend et ne ressent plus rien.
Projet de soins et prise en compte de l’aidant
Plutôt qu’un dialogue sans issue autour des questions : « Vais-je guérir ? », « Va-t-il guérir ? », le médecin peut rester réaliste et positif en mettant l’accent sur la possibilité de soigner les symptômes, d’atténuer certaines manifestations de la maladie et de retarder l’évolution par des solutions médicamenteuses et non médicamenteuses. D’où l’intérêt d’évoquer l’intervention d’un kinésithérapeute, d’un orthophoniste, d’un ergothérapeute, d’un conseiller d’aménagement de domicile du malade.
Parfois, l’aidant familial, notamment lorsqu’il s’agit d’un époux/d’une épouse, est lui-même très âgé et malade. Le médecin sera donc vigilant et insistera sur la nécessité pour ce conjoint de continuer à se soigner, ne serait-ce que dans l’intérêt du patient.
Organiser le futur
Un rendez-vous ultérieur doit être pris dès cette première consultation d’annonce ; un projet de soins mis en place avec anticipation des prises en charge futures nécessitant la participation active du patient et le respect des consignes (soins dentaires, lunettes, etc.). Une information des effets secondaires possibles des traitements prescrits est donnée ainsi que des contacts utiles : associations bénévoles de familles de malades, kinésithérapeutes, cabinets d’infirmières à domicile, orthophonistes, assistantes sociales associations d’aides à domicile du quartier et du centre local d’information.
Le mot « psychologue » fait encore peur, associé à « psychiatrie et folie », aussi bien pour les malades âgés que pour leur famille. L’idée d’une intervention de ce type doit donc être abordée avec délicatesse et précaution, en utilisant plutôt le mot de conseiller et, cela, jamais au moment du diagnostic.
Avec ces efforts de la part du médecin, le malade et sa famille partent bien évidemment tristes mais pas catastrophés, voire parfois soulagés car comprenant mieux l’origine de leurs problèmes et épaulés par une équipe médicale. Maintenant, chacun sait que la personne malade est vulnérable, triste, qu’elle a besoin d’amour et de sécurité mais qu’elle n’est ni « folle » ni « méchante » et qu’il importe de se préparer sereinement pour une longue route ensemble.
Références :
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