Une coordination au niveau frontal

Le cerveau incapable de mener à bien plus de deux choses à la fois

Publié le 16/04/2010
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DER NOTRE CORRESPONDANTE

« C’EST LA PREMIÈRE fois que l’on observe dans le cerveau la représentation simultanée de plusieurs buts que poursuit une personne (deux en fait), un but étant défini comme mener à bien une tâche précise pour obtenir un gain. La notion de but a donc un sens et une signature sur le plan neurologique », explique au « Quotidien » le Dr Étienne Koechlin (Université Pierre et Marie Curie, Paris et École Normale Supérieure, Paris). « Lorsque le sujet poursuit un but unique, les deux lobes frontaux coopèrent pour représenter ce but : le but est codé selon la valeur de la récompense associée dans deux régions frontales médianes symétriques (appelées cortex cingulaires antérieurs) situées dans les lobes gauche et droit. En revanche, quand le sujet poursuit simultanément deux buts, les lobes frontaux se divisent : la région frontale médiane droite code un but, pendant que l’autre code l’autre but. Tout se passe donc comme si les deux lobes frontaux poursuivaient leur propre but indépendamment ! ».

« C’est la région frontale la plus antérieure située juste derrière le front (le cortex frontopolaire) qui coordonne l’exécution des buts propres à chaque lobe frontal, poursuit le chercheur. Ainsi le cortex frontopolaire assure l’intégrité de la volonté de l’individu et la cohérence des comportements associés. Ces résultats suggèrent que la fonction frontale humaine ne peut gérer plus de deux buts à la fois. Nous rapportons les résultats d’une expérience comportementale supplémentaire validant cette inférence : les sujets humains apparaissent incapables de maintenir et contrôler trois buts simultanément. »

Des implications cliniques.

« On sait que les lobes frontaux sous-tendent la faculté de l’individu à agir selon ses buts et motifs propres, le dotant ainsi de capacités d’autonomie, d’adaptation et de flexibilité mentale remarquables », poursuit le Dr Koechlin. « La fonction frontale est cependant très fragile et se trouve particulièrement altérée dans la plupart des grandes maladies neuropsychiatriques telles que la schizophrénie, l’autisme, la dépression, les démences. Ces résultats révèlent une partie des fondements neurologiques de l’intentionnalité humaine, ses potentialités et ses limitations. »

« Ces résultats sont susceptibles d’éclaircir et de mieux cibler les causes de certaines des altérations comportementales et mentales observées dans les grandes maladies neuropsychiatriques humaines.

La nature tout au plus duale de la fonction frontale peut expliquer également de nombreuses limitations de nos capacités de raisonnement, de décision et d’adaptation. »

« Science », 16 avril 2010, Charron et coll., . 360.

Propos recueillis par le Dr VÉRONIQUE NGUYEN

Source : Le Quotidien du Médecin: 8751