La prévalence de la consommation de psychotropes en population pédiatrique a plus que doublé entre 2010 et 2021. Tel est le constat que dresse le Conseil de l'enfance et de l'adolescence du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA)* dans son rapport annuel.
« Ce rapport part d'un constat : celui d'un déséquilibre croissant entre la demande de soins et l'offre de soins pédopsychiatriques, médicosociales et éducatives sur le territoire », indique au « Quotidien » Sébastien Ponnou, psychanalyste, maître de conférences en sciences de l’éducation à l'université de Rouen et l'un des experts auditionnés. Le rapport évoque un « effet ciseaux » pour décrire ce phénomène, qui se joue au détriment « des enfants qui vont mal, voire de plus en plus mal », selon l'expert, et de leur famille.
Les délais d'attente peuvent atteindre jusqu'à deux ans avant d'obtenir un rendez-vous dans un centre médicopsychologique (CMP) ou un centre médicopsycho-pédagogique (CMPP). « Les psychologues scolaires ne peuvent pas non plus répondre à leur mission faute de moyens, les services de protection maternelle et infantile (PMI) sont débordés », poursuit Sébastien Ponnou, aujourd'hui membre du Conseil de l'enfance et de l'adolescence.
Une consommation accrue de 179 % pour les antidépresseurs
Si cette tendance préexistait à la crise sanitaire liée au Covid, comme en témoigne le rapport de l'Igas de 2018, la pandémie l'a révélée et accentuée, estime l'expert : « elle a donné de la visibilité à la santé mentale. » De récents rapports, comme celui du Défenseur des droits de 2021 et ceux de 2021 de la Cour de comptes, l'un sur l'organisation de la psychiatrie, le second sur la santé des enfants, ont également bien documenté les difficultés de la psychatrie et de la pédopsychiatrie en particulier.
En théorie, la prise en charge de première intention chez les enfants repose sur les pratiques psychothérapeutiques, les pratiques éducatives et les dispositifs de prévention et d'intervention sociale. Mais « faute de dispositifs de soins adaptés en santé mentale et de lieux d'accueil adaptés, le rapport du HCFEA documente une montée en flèche de la prescription médicamenteuse depuis les années 2000 », résume Sébastien Ponnou.
Dans le détail, entre 2010 et 2021, l’estimation de la prévalence de la consommation de psychotropes chez les enfants a augmenté de 179 % pour les antidépresseurs et les normothymiques, de 148 % pour les psychostimulants, de 114 % pour les antipsychotiques et de 35 % pour les hypnotiques et les anxiolytiques.
« C'est donc un phénomène de fond, qui continue de s'accentuer et concerne des centaines de milliers de prescriptions et des dizaines de milliers d’enfants selon l'ANSM », précise le psychanalyste.
Ces prescriptions se font souvent hors autorisation de mise sur le marché. « Le cas le plus classique est la délivrance de médicaments psychotropes réservés à l'adulte, prescrits à des enfants, alors qu'aucune étude n'a porté sur cette population, et avec des phénomènes de polyprescription qui n'ont jamais été évalués non plus », détaille Sébastien Ponnou.
Un phénomène de substitution aux thérapies de première intention
Comment en est-on arrivé à un tel niveau de prescription ? Plusieurs explications à cela, selon l'expert. Au-delà des manques de moyens qui contribuent à l'installation et la pathologisation des troubles mentaux, il évoque des facteurs scolaires et environnementaux, ainsi que des orientations politiques privilégiant la psychiatrie biologique dans les années 2000, au détriment de la mise en œuvre des approches non médicamenteuses. « Si d'un point de vue clinique, le médicament est nécessaire, cela n'est pas remis en question. Le problème est quand il se substitue à la thérapie de première intention », insiste l'expert.
Ce phénomène de substitution est notamment flagrant avec le méthylphénidate (Ritaline), psychostimulant indiqué dans le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Tandis que sa consommation est multipliée par deux (+116 % entre 2010 et 2019), les visites en CMPP sont divisées par quatre.
Des leviers d'action
Concernant le méthylphénidate, le rapport montre aussi que les prescriptions intensives concernent très peu de médecins. Du côté des généralistes, moins d'un tiers en prescrivent et parmi ce tiers, les pratiques sont hétérogènes et l'augmentation des prescriptions est le fait d'une minorité, rapporte Sébastien Ponnou.
« Le rapport ne se limite pas à un état des lieux du malaise, mais fait de vraies recommandations et appuie sur les leviers à activer en termes de psychothérapie, d'éducation et de prévention. Il y a des solutions », avance par ailleurs le psychanalyste.
Par exemple, le HCFEA appelle à ne pas opposer les différentes pratiques de psychothérapie mais à favoriser leur accès et leur diversité. Sur le volet des pratiques éducatives, les dynamiques d'inclusion sont à promouvoir. Et du côté de la prévention, l'accent est mis sur la lutte contre les inégalités sociales.
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