La Société de pneumologie de langue française (SPLF), en collaboration avec l’intergroupe francophone de cancérologie thoracique (IFCT) et la société d’imagerie thoracique, a édité des recommandations prônant le dépistage du cancer pulmonaire (1). Ce consensus, très étayé, est paru simultanément à l’avis de l’Académie de médecine, qui y est défavorable. En contrepoint, le parti pris affiché par le chef de l’État à l’INCa, en faveur de la mise en place de ce dépistage sans tarder (2).
Ce fut donc un début d’année mouvementé en France. De l’autre côté de l’Atlantique, où ce dépistage est recommandé depuis déjà 10 ans, on en est à élargir la cible des sujets visés. L’USPSTF américaine préconise désormais le dépistage des fumeurs dès l’âge de 50 ans (50-80 ans) lors de tabagisme d’au moins 20 paquets-année, qu’il soit actif ou sevré depuis moins de 15 ans.
Deux poids deux mesures, donc pour un même problème, à la réserve près des différences non négligeables entre les deux systèmes de santé. Retour sur les principaux points à retenir du débat avec le Dr Olivier Leleu (IFCT, CH d’Abbeville).
Un concert de voix discordant
« En France les fumeurs et ex-fumeurs subissent actuellement la double peine, à la fois victimes de l’industrie du tabac mais aussi des institutions − HAS, Académie de médecine − qui leur refusent un test de dépistage fiable et efficace », dénonce le Dr Leleu.
« Pour motiver les autorités de santé à reconsidérer la question, nous avons rédigé un avis d’experts très documenté. Pour mémoire, la HAS s’était opposée à ce dépistage en 2016 (3). Notre avis préconise le dépistage du cancer du poumon dans une population cible bien définie au moyen de scanner basse dose, une stratégie qu’il faut déployer sans tarder en France, résume le pneumologue. Hasard du calendrier, quasi au même moment l’Académie de médecine se prononçait contre, dans un rapport rempli d’inexactitudes et de contre-vérités. L’Académie souligne en particulier l’absence de population à risque identifiée − ce qui est faux − le risque de surirradiation − non exclu mais peu probable et de toute façon extrêmement faible vu l’âge des personnes concernées. Enfin, elle mésestime cruellement le poids des deux principales études randomisées contrôlées − NLST et Nelson (4,5) − associées au plus haut niveau de preuve, mettant clairement en évidence un gain en survie spécifique. »
Lutter contre la perte de chances sans attendre
« Cette situation est assez désespérante, si on considère que le cancer bronchique tue chaque année 33 000 personnes et représente la première cause de décès par cancer en France. Sans compter que, sur les 46 000 nouveaux cas/an, les trois quarts sont diagnostiqués à un stade métastatique. Bien trop tard pour espérer en réchapper. Quand le traitement de tumeurs de stade I autorise 90 % de survie à 10 ans », explique le Dr Leleu (7).
Seule lueur d’espoir dans ce panorama, le Président de la république s’est engagé à mettre en œuvre rapidement ce dépistage dans un discours prononcé à l’Inca. Mais rien ne bouge. « C’est pourtant la seule stratégie à avoir formellement démontré sa capacité à réduire nettement la mortalité spécifique et la mortalité globale. Un niveau de preuve jamais atteint dans le dépistage des cancers du sein et gastro-intestinaux. Les données de NLST en 2011 et Nelson de 2019 mettent en évidence une réduction de 20 à 25 % de la mortalité par cancer pulmonaire. L’étude Mild en 2019 a même montré un recul de 40 % de la mortalité spécifique à 10 ans lors d’un dépistage prolongé au-delà de 5 ans », rappelle le Dr Leleu.
Une population cible précise et stratégie bien définie
La population cible a bien été identifiée. « Nous avons repris scrupuleusement les critères d’inclusion de l’étude Nelson, observe le Dr Leleu. Le dépistage cible les 50-74 ans fumeurs actifs ou sevrés depuis moins de 10 ans, ayant fumé plus de 10 cigarettes/jour durant plus de 30 ans ou plus de 15 cigarettes/jour durant plus de 25 ans. Il fait appel à la tomodensitométrie basse dose à T0, à 1 an puis tous les 2 ans (sauf anomalie) jusqu’à l’âge de 74 ans. » Au-delà de cet âge et/ou de 15 ans de sevrage, le dépistage n’est pas recommandé.
« Le dépistage doit être associé à une politique active de sevrage tabagique », souligne aussi le pneumologue. Cinq ans de sevrage diminuent de 40 % le risque de cancer bronchopulmonaire.
Exergue : Le rapport de l’Académie de médecine est rempli d’inexactitudes et de contre-vérités
Entretien avec le Dr Olivier Leleu, intergroupe francophone de cancérologie thoracique, CH d’Abbeville (1) Couraud S et al. Rev Mal Resps 2021; 38:310-25 (2) Sancho-Garnier H et al. Académie de Médecine, 26 janv 2021 (3) Rapport d’orientation, HAS janv 2016 (4) Nejm 2011; 365:395-409 (5) De Koning HJ et al. Nejm 2020; 382:503-13 (6) Pastorino U et al. An Oncol 2019;30:1162-69 (7) Nejm 2006; 355:1763-71
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