La morphine est depuis longtemps utilisée en traitement palliatif chez les patients très dyspnéiques porteurs d’une bronchite chronique obstructive pulmonaire (BPCO). Mais le rapport bénéfice /risque de cette thérapeutique reste flou et débattu. Dans le but d’éclairer cette question, des pneumologues hollandais ont mené une étude randomisée versus placebo en double aveugle de 4 semaines, l’étude Morphine for treatment of dyspnea in patients with CODP (Mordyc) (1). Ses résultats sont sans appel : l’administration systématique et régulière (par voie orale deux à trois fois par jour) de faibles doses de morphine d’action prolongée améliore le score de santé (score CAT) sans affecter les pressions partielles artérielles en CO2 (PaCO2). Ce qui vient confirmer l’intérêt de la morphine en traitement palliatif dans les BPCO avec dyspnée de grade 2-4 (score mMRC).
Une étude sur une centaine de patients traités un mois
Entre novembre 2016 et janvier 2019, près de 1 400 patients ont été passés en revue dans trois centres hollandais : le Ciro, un centre d’expertise pour défaillance d’organe situé à Horn, l’hôpital Zuyderland de Heerlen et le centre médical VieCuri de Venlo.
Pour être inclus, les patients devaient présenter un grade 2-4 de dyspnée (score mMRC) sous traitement pharmacologique et non pharmacologique optimaux, dont un programme de réhabilitation pulmonaire. Ont été recrutés au total 124 volontaires.
Après randomisation, les sujets ont reçu 10 mg de morphine retard par voie orale deux fois par jour ou un placebo. Les posologies pouvaient être ajustées jusqu’à 3 doses de 10 mg/j après 1 à 2 semaines chez les non répondeurs.
Si besoin, tous les participants pouvaient être mis sous macrogol (13,8 g) une fois/j, plus métoclopramide (10 mg x3/j).
En termes de suivi, les patients ont été contactés à par téléphone J2 (T1) et à 3 semaines (T4) et deux visites à domicile ont eu lieu, en semaine 1 et en semaine 2. Le score CAT a été évalué à T0, T2 (1 semaine), T3 (2 semaines) et en fin d’étude à T5 (4 semaines). Les PaCO2 ont été mesurées à T0 et en fin d’étude à T5 (4 semaines).
Les patients de l’essai, dont 54 % d’hommes, ont 65 ans d’âge médian. Leur IMC médian est à 27 kg/m2. Ils ont un passif moyen de 40 paquets/années et 13 % sont encore fumeurs. Leur FEV1 médiane est à 35-38 % et leur FEV1/FVC à [0,29 — 0,32].
Parmi eux, un tiers (33-37 %) ont une dyspnée (mMRC) de grade 3, 6-12 % une dyspnée de grade 4 quand plus de la moitié ont un mMR de grade 2. Le score CAT médian initial est de [21,5 — 23]. Au test de 6 minutes de marche, ils atteignent 350 mètres. Leur PaCO2 est à 41 mm Hg et leur saturation à 93-94 %.
Enfin, globalement 81 % dans le bras morphine versus 89 % dans le bras placebo ont poursuivi le traitement 4 semaines.
Amélioration clinique sans baisse de la PaCO2
À 4 semaines de traitement, les patients mis sous morphine vont mieux. La différence de score CAT entre les bras est de — 2,18 points en faveur du bras morphine (— 2,18 ; [— 4,14 ; — 0,22] ; p = 0,03). Quand on passe en revue les éléments du score CAT, on s’aperçoit que la différence entre les bras est significative pour la marche dans les escaliers ou en montée.
Néanmoins, si l’on se restreint aux patients en mMRC de grade 3-4, la différence avec le bras placebo n’est plus significative (— 1,7 ; [— 4,2 ; + 1,8] ; NS), pas plus qu’en ce qui concerne l’élément marche en montée ou dans les escaliers.
Quant aux paramètres respiratoires, ils ne sont pas significativement affectés par le traitement. Il n’y a pas de différence entre les bras en PaO2, SaO2, PtcCO2, SpO2 (pO2 nocturne ni temps durant lequel elle est inférieure à 90 % durant la nuit), ni dans aucun autre paramètre pulmonaire.
En termes de distance de marche à 6 minutes, globalement on n’observe pas de différence, ni sur l’ensemble des patients ni sur ceux de grade mMRC 3-4. Il n’y a pas non plus de modification ayant un effet clinique en termes de dyspnée dans les 24 heures précédant la fin de l’étude ni sur le score de dyspnée médian, ni encore sur le score de la « pire » dyspnée.
Enfin, le traitement a été globalement bien toléré à l’exception de constipations, comme attendu.
Un bénéfice certes limité mais sans contrepartie délétère
Pour les auteurs de cet essai, « ces résultats montrent que la morphine pourrait avoir un effet bénéfique chez les patients souffrant de dyspnée modérée à sévère et ceci sans contrepartie à payer, en termes de dépression respiratoire en particulier. Un essai plus vaste — le recrutement a été difficile — et plus long semble néanmoins nécessaire avant de pouvoir conclure définitivement aux bienfaits du traitement. »
Dans l’éditorial accompagnant la publication de l’étude (2), le Pr Éric W Widera (Gériatre, Université de Californie, San Francisco, États-Unis) regrette pour sa part que l’étude n’ait pas réussi à inclure plus de sujets plus gravement dyspnéiques (grades 3-4), puisque la précédente méta-analyse sur le sujet (3) suggérait que les chances de réponse à de faibles doses d’opioïdes soient majorées lors de dyspnée sévère. Pour lui, « nul besoin d’étude supplémentaire pour implémenter la morphine en pratique clinique dans la BPCO. Pour les sujets toujours très dyspnéiques (mMRC grade 3-4) malgré un traitement non seulement pharmacologique mais aussi non pharmacologique incluant de l’O2, un ventilateur de poche et de la réhabilitation pulmonaire, la plupart des données ont montré qu’une prescription soigneuse de faibles doses d’opioïdes peut apporter une nette amélioration clinique en termes de dyspnée ».
(1) CA Verberkt et al. Effect of sustained-release morphine for refractory breathlessness in chronic obstructive pulmonary disease on health status. A randomized clinical trial. Jama Intern Med. 2020 ; 180:1306-14
(2) EW Widera. The role of opioids in patients with chronic obstructive pulmonary disease and chronic breathlessness. JAMA Intern Med. 2020 ;180(10):1315-6
(3) MJ Jonhson et al. Opioids for chronic refractory breathlessness : patient predictors of beneficial response. Eur Respir J 2013 ;42:758-6
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024