Alors que la France affiche la plus haute prévalence (11 %) de syndrome dépressif en Europe (où la prévalence moyenne est de 6 %), une récente étude s’inquiète de l’augmentation des conduites suicidaires chez les jeunes, et notamment les femmes.
« Le phénomène le plus marquant des dix dernières années est l’inversion du lien entre la santé mentale et le jeune âge, qui passe de facteur de protection avant 2015 à facteur de risque après 2020 », lit-on dans une synthèse des données épidémiologiques sur le suicide en France et en Europe, publiée dans la revue Questions de santé publique de l’Institut pour la recherche en santé publique (Iresp). Si la pandémie a accéléré la tendance, la dégradation de la santé mentale des jeunes, et notamment des femmes, est antérieure, alors que parallèlement, la mortalité par suicide baisse depuis quarante ans, en France comme en Europe.
En 2021, 8 902 personnes se sont suicidées en France (0,7 % des décès féminins, 2 % des décès masculins) ; soit 13,3 suicides pour 100 000 habitants, contre plus de 22 pour 100 000 au milieu des années 1980. Cette baisse (en deux périodes, entre 1993 et 1999 puis entre 2009 et 2017) s’observe ailleurs en Europe et s’explique par la restriction progressive de l’accès aux moyens létaux, l’amélioration de la prise en charge des troubles psychiatriques, ou encore la mise en place de plans de prévention nationaux.
Malgré tout, la France, qui a la plus haute prévalence de syndrome dépressif en Europe (voir encadré), présente aussi l’un des taux de mortalité par suicide les plus élevés (13,3 pour 100 000 habitants), supérieur à la moyenne des pays d’Europe de l’Ouest (10,6) et du Nord (11,4), à peine derrière la Finlande (13,5) et la Belgique (14,3). Les pays du Sud enregistrent les taux les plus bas, avec une moyenne de 5,9 décès par suicide pour 100 000 habitants.
Gestes auto-infligés et pensées suicidaires en hausse chez les jeunes
Les conduites suicidaires touchent inégalement les sexes (les hommes sont deux à trois fois plus nombreux à se suicider que les femmes) et s’inscrivent dans des normes de genre. Les premiers recourent davantage aux armes à feu et à la pendaison, les secondes se tournent plus vers les médicaments et sont surreprésentées dans les automutilations non suicidaires.
Les personnes âgées se suicident beaucoup plus que les jeunes : les plus de 85 ans ont un taux de suicide de plus de 30 pour 100 000 habitants en 2021, versus moins de 3 pour les moins de 25 ans, ce qui peut s’expliquer, lit-on, par les souffrances psychiques et psychologiques, l’isolement social, la perte d’autonomie, les deuils… Autres chiffres : 35 % des personnes suicidées en 2021 ont plus de 65 ans ; 38 %, entre 45 et 65 ans.
Mais la part de mortalité attribuable au suicide (par rapport aux autres causes de décès) est la plus élevée parmi les jeunes générations : les 449 suicides des moins de 25 ans en 2021 représentent 14 % de leur mortalité totale. Une part qui augmente jusqu’à 21 % chez les hommes de 25 à 34 ans. Chez les femmes de moins de 25 ans, la mortalité attribuable au suicide atteint 13 % en 2021, un niveau inédit ces quarante dernières années, qui témoigne de la forte dégradation de la santé mentale chez ce groupe.
Les adolescentes et jeunes femmes sont aussi surreprésentées en 2022 dans les hospitalisations pour gestes auto-infligés, avec un taux de 138 pour 100 00 habitants, versus 84 chez les hommes, et même de 800 pour 100 000 chez les adolescentes de 14 à 16 ans.
Derniers marqueurs : la part de personnes déclarant avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie est passée de 7 % à près de 13 % entre 2010 et 2021 chez les jeunes femmes ; et de 2,4 % à 5,8 % chez les jeunes hommes entre 2017 et 2021. Quant aux pensées suicidaires, elles touchent 9,4 % des jeunes femmes en 2021 (contre 3 à 5 % dans le reste de la population).
Vulnérabilités socio-économiques, violences et discriminations
Parmi les facteurs de risque, figurent d’abord les troubles psychiatriques, qui concernent 90 % des personnes décédées par suicide, mais aussi le niveau de revenu et les difficultés financières, ou encore le chômage ou l’inactivité. Sans que les liens soient univoques, lit-on. D’abord, la forte corrélation entre chômage et suicide peut s’expliquer par des troubles psychiatriques qui peuvent gêner l’insertion professionnelle. En outre, l’inactivité peut s’accompagner d’incertitude, du sentiment de honte sociale, ou encore d’une fragilisation des liens affectifs ou sociaux, qui minent la santé mentale.
Par ailleurs, il existe une forte corrélation avec les violences subies dans l’enfance, surtout lorsque la victime n’en a pas parlé, ou qu’elle n’a reçu aucun soutien de la part de son entourage ou de l’institution judiciaire. Tout en sachant que certaines populations sont surexposées aux violences : les minorités sexuelles ou de genre. Enfin, « le caractère genré de la dégradation de la santé mentale des jeunes et son émergence simultanée dans de nombreux pays interrogent. De forts soupçons pèsent sur le rôle des réseaux sociaux », conclut l’article.
Dépression : la France au 1er rang de l’Europe
En 2019, environ 6 % de la population européenne souffrait de syndromes dépressifs, un phénomène surtout prégnant en Europe de l’Ouest et du Nord. La France, avec 11 %, affichait la prévalence la plus haute du continent, selon une étude de la Drees publiée le 9 janvier, devant la Suède (10 %). À l’inverse, l’Europe du Sud et de l’Est semblait davantage épargnée, avec des prévalences plus faibles comme en Serbie ou à Chypre (2 %). L’étude s’appuie sur les données d'une enquête sur la santé (European Health Interview Survey) menée tous les six ans dans les pays de la région européenne, auprès des plus de 15 ans.
« Quels que soient le pays ou la tranche d'âge, les femmes risquent en moyenne davantage que les hommes de souffrir de dépression », observe la Drees. « La France présente un taux de dépression parmi les plus élevés des pays d'Europe pour les seniors et pour les jeunes, comme pour l'ensemble de la population », relève-t-elle encore. En Europe de l’Ouest, les syndromes dépressifs touchent particulièrement les 45-59 ans puis les plus de 70 ans, tout en étant élevés chez les plus jeunes. En Europe du Sud et de l’Est, leur prévalence est en revanche très faible chez les 15-24 ans, et augmente progressivement avec l’âge. Une bonne santé et un soutien fort de l’entourage sont des facteurs de protection chez les jeunes et les seniors. À l’inverse, le veuvage est un facteur de risque chez les seconds, ainsi que l’inactivité pour les premiers, en Europe de l’Ouest et du Nord. Le revenu semble, lui, n’avoir qu’un effet limité.
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