LE QUOTIDIEN : Comment s’est organisé le suivi à distance des patients en psychiatrie depuis le début du confinement ?
Dr RADOINE HAOUI : Nous coordonnons 40 structures de prises en charge psychiatriques en Haute-Garonne sous forme de CMP [centre médico-psychologique], de CATTP [centre d'accueil thérapeutique à temps partiel], d’hôpitaux de jour et d’appartements thérapeutiques, pour une file active de 14 000 patients.
Du jour au lendemain, avec l’annonce du confinement, nous avons été contraints de tout arrêter. Les rendez-vous présentiels des patients ont donc été remplacés, lorsque c’était possible, par des consultations téléphoniques ou en visio. Nous avons ainsi basculé vers 70 % de prise en charge à distance et conservé 30 % de prise en charge en ambulatoire uniquement pour les patients identifiés à haut risque suicidaire et pour les patients peu autonomes. C’était pour nous un mode de prise en charge dégradé, mais le seul possible d’un point de vue sanitaire.
Quels ont été les effets de ce mode « dégradé » ?
Les quinze premiers jours ont été calmes, car chacun était dans une espèce de sidération psychologique. Mais au bout d’un mois de confinement, la situation est devenue de plus en plus difficile à supporter pour ces patients sujets à de fortes décompensations. Pour la majorité d’entre eux, toutes les activités de groupe ont été suspendues, alors qu’elles garantissaient une routine rassurante.
Aujourd’hui nous constatons une dégradation de l’état de ces patients : certains sont dénutris, d’autres s’aggravent sur le plan psychique, ils sont déboussolés car ils ont perdu tout contact du quotidien.
Quel type de décompensations constatez-vous ?
On assiste à de fortes dégradations par une majoration de l’angoisse, des rechutes délirantes, des recrudescences d’hallucinations. J’ai eu le cas d’un patient qui ne supportait plus le confinement et entendait des voix qui lui faisaient injonction de se défenestrer. Heureusement, c’est un patient que nous connaissions bien et que nous suivions depuis plusieurs années, le contact téléphonique quotidien nous a permis d’intervenir très rapidement et de le faire hospitaliser sous 48 heures. Nous voyons aussi beaucoup de patients développer des syndromes de persécution, des aggravations des troubles du sommeil et une augmentation de la consommation de drogue.
Le déconfinement est prévu à partir du 11 mai. Quels sont les risques à plus long terme pour tous ces patients ?
Même si le confinement est très difficile à supporter pour eux, l’annonce de cette date a finalement créé de nouvelles incertitudes ! De la même façon que lorsqu’on leur annonce une fin d’hospitalisation, ils angoissent de retrouver le monde extérieur.
Pour nous aussi soignants, la perspective du 11 mai crée de l’incertitude quant à la façon d’organiser la continuité des soins. Nous craignons une rupture de contact plus importante que d’habitude. D’ailleurs, depuis mi-mars, nous avons perdu en moyenne 10 % des patients ; or on sait bien que cette population ne fait pas partie de celle qui appelle les numéros verts de secours.
En réalité, nous craignons qu’après la vague épidémique, une seconde vague psychiatrique ne s’abatte. Déjà, la population générale ne va pas très bien sur le plan psychologique ; c'est pourquoi nous sommes franchement inquiets d’un possible rebond infectieux pour ces patients fragilisés par le confinement et l’isolement social.
Aux urgences psy, on voit déjà une augmentation des passages pour intoxications médicamenteuses et une hausse des soins sous contrainte à la demande d’un tiers ou sur décision des représentants de l’État, à la suite de décompensations.
Que faut-il faire selon vous pour stopper ou réduire cette vague ?
Ce constat de risque de rebond infectieux est partagé dans les autres régions par les présidents de CME de CHS [centres hospitaliers spécialisés], c’est pourquoi nous avons installé un groupe ressource pour ajuster nos organisations de soins pendant la période de confinement et en sortie de confinement.
À Toulouse, sans attendre le 11 mai, nous avons décidé de reprendre les consultations en présentiel et certaines activités pour les patients mais aussi de réinvestir les visites à domicile et de faire de l’éducation à la santé pour éduquer aux gestes barrières. Enfin, il faut s’assurer que le suivi somatique est réactivé par le biais des réseaux de CMP et les généralistes.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024