« La première fois qu’EPI-Phare s’était réuni, c’était pour travailler sur les effets de l’antiépileptique valproate au cours de la grossesse », se rappelle le Pr Hugo Peyre, pédopsychiatre au CHU de Montpellier. Dans une nouvelle étude qu’il a cosignée, le groupement scientifique de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) et de la Caisse nationale d’Assurance-maladie (Cnam) vient de démontrer un effet majeur du mois de naissance sur la probabilité d’un traitement par méthylphénidate ou séances d’orthophonie pour trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Pour y parvenir, les auteurs ont extrait les données de près de 4,8 millions d’enfants nés entre 2010 et 2016 depuis le système national des données de santé (SNDS). Cette exhaustivité fait de ce travail l’étude la plus puissante jamais réalisée sur ce sujet. La date d’entrée dans la cohorte correspondait au 1er septembre de l’année civile des 5 ans avec un suivi jusqu’au 31 juillet des 10 ans.
Une probabilité majorée de plus de 50 %
Les chercheurs recensent 38 794 enfants ayant débuté un traitement par méthylphénidate, soit 0,8 % de la population étudiée, et 692 086 enfants ayant eu des cours d’orthophonie, soit 16,5 %. Par rapport aux enfants nés en janvier (c’est-à-dire les plus âgés), les enfants nés plus tard dans l’année présentent une probabilité croissante avec le jeune âge de se voir prescrire du méthylphénidate : +7 % pour les enfants nés en février, +9 % pour ceux nés en avril, +29 % en juillet, +46 % en octobre et +55 % en décembre. La même tendance est observée avec les séances d’orthophonie : de +3 % pour les enfants nés en février à +64 % pour les enfants nés en décembre. Cet effet était légèrement plus marqué chez les filles et les premiers nés de fratries.
« Ce sont des différences colossales !, réagit le Pr Peyre. Il est important de mentionner que nous avons ajusté nos résultats pour tous les facteurs confondants », insiste-t-il. À savoir sexe, prématurité, petit poids de naissance, exposition in utero au tabac ou à alcool pendant la grossesse, mais aussi le lieu de résidence. L’étude a ainsi confirmé une forte disparité régionale. À titre d’exemple, le taux d’introduction du méthylphénidate était réduit de moitié en Seine-Saint-Denis et de 30 % dans le Val-d’Oise, comparativement à Paris. « Ces inégalités très importantes sont en partie liées aux inégalités de démographie médicale et d’orthophonistes », analyse le Pr Peyre.
Deux hypothèses antagonistes mais pas exclusives
Des données étrangères avaient déjà démontré le lien entre le mois de naissance des enfants scolarisés à l’école primaire et la probabilité d’un traitement par le méthylphénidate, mais c’est en revanche « la première fois que l’on observe un effet de l’âge sur le recours à la rééducation orthophonique », commente le Pr Hugo Peyre.
Deux hypothèses sont avancées pour expliquer cette corrélation entre mois de naissance et accès aux soins : un surdiagnostic des enfants jeunes et/ou un sous-diagnostic des enfants plus âgés. Les résultats de l’étude EPI-Phare ne permettent pas de trancher. Toutefois, le Pr Peyre a des raisons de penser que l’explication réside davantage dans un déficit de repérage des élèves plus âgés. « La stabilité des diagnostics reste la même dans toutes les classes d’âge, indique-t-il. Le diagnostic une fois posé n’est pas remis en question davantage chez les jeunes que chez les plus âgés. »
En décembre 2023, une méta-analyse menée par le groupe Simba (pour Synergy for the Influence of the Month of Birth in ADHD) avait déjà conclu que les enfants nés tard dans l’année étaient plus souvent dépistés, et que le diagnostic ne se révélait pas erroné plus souvent. Par ailleurs, les chercheurs d’EPI-phare rappellent que les pays plus flexibles sur l’âge d’entrée en primaire n’ont pas ou peu d’effet observable de l’âge sur le diagnostic de TDAH.
Autre argument en faveur du sous-diagnostic : malgré les évolutions récentes à la hausse, la France reste un pays où la prévalence mesurée de TDAH et les prescriptions restent bien inférieures à ce qui est observé aux États-Unis ou dans le reste de l’Europe.
Un diagnostic subtil
« L’étude ne permet pas d’écarter un surdiagnostic chez les plus jeunes, nuance le Pr Olivier Bonnot, professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Université Paris-Saclay. Le diagnostic peut paraître facile en apparence face à une distractibilité ou une impulsivité de l’enfant. Mais ce qui fait la subtilité du TDAH, c'est d’éliminer d’abord les autres troubles du neurodéveloppement, des troubles somatiques ou des troubles du sommeil. Et il faut prendre en compte le contexte développemental. Un enfant qui entre à l’école primaire est confronté à un environnement social très exigeant en termes d’attention, alors même que ses facultés de concentration ont encore besoin de temps et d’usage pour arriver à maturation. »
Les auteurs de l’étude suggèrent que le contraste avec le reste de la classe est exacerbé chez les enfants TDAH les plus jeunes. « Il faudrait sensibiliser les familles et les enseignant pour que le seuil d’alerte soit plus bas, propose le Pr Peyre. D’autant plus que, grâce au travail de la délégation interministérielle, l’accès au diagnostic a été grandement amélioré. » Depuis 2019, les plateformes d’orientation et de coordination (PCO) permettent aux familles d’avoir accès à des soins le plus tôt possible sans attendre d’avoir un diagnostic complet. Depuis la nouvelle stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, ces dispositifs, qui étaient réservés au 0 à 6 ans, s’ouvrent progressivement aux 7 à 12 ans.
Les PCO restent mal connues des personnels éducatifs et des médecins. « Le TDAH n’était pas encore un sujet quand les médecins actuels faisaient leurs études, explique le Pr Bonnot. Quant aux enseignants et aux employés des structures sociales et médicosociales, il y a un retard de formation que nous sommes en train de combler. » Et, alors que des recommandations sur le diagnostic et la prise en charge du TDAH sont attendues d’ici à septembre, le spécialiste qui a coordonné le groupe de travail à la Haute Autorité de santé, conclut : « Il faut simplifier les parcours ! Le système actuel est relativement illisible ! ».
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