On entend beaucoup parler d’éco-anxiété. Est-ce une réalité ou juste un concept à la mode ?
Pr Antoine Pelissolo : C’est une réalité. Nous rencontrons de plus en plus de personnes confrontées à cette difficulté particulière, qui manifestent un besoin d’accompagnement. On dispose encore de peu de données sur le profil des personnes concernées. Il semble assez logique que cela touche plus volontiers les jeunes, qui ont du mal à anticiper leur propre avenir et à se projeter dans un monde dont l’avenir devient incertain. Ce que je crains, chez eux, c’est qu’ils ne consultent pas forcément. Mais ils ne sont pas les seuls touchés : parmi les personnes atteintes d’éco-anxiété que je vois en consultation, cela va jusqu’à 45-50 ans.
Comment se définit-elle ?
Pr A. P. : L’éco-anxiété (non référencée dans la classification des troubles mentaux-DSM V, ndlr) n’est pas une pathologie, ni un syndrome clinique identifié. C’est un mélange d’émotions négatives, assez large, mais qui ne correspond pas à un état passager. Un état anxieux durable, cristallisé chez les patients que j’ai rencontrés, parfois même avec début de complications, qui fait suite à la prise de conscience, assez violente des impacts du changement climatique et d’un avenir inquiétant. Il peut être lié au vécu direct de certains événements, comme la canicule cet été, ou à l’accumulation de données sur le dérèglement climatique, chez des personnes qui s’informent beaucoup. La peur de l’avenir se double de colère, et de frustration envers les autres, qui ne font rien contre.
Par quels symptômes se traduit-elle ?
Pr A. P. : De l’insomnie à l’anxiété, en passant par les problèmes de concentration, la perte d’appétit, jusqu’au versant dépressif qui peut être subclinique, l’éco-anxiété se manifeste par des symptômes très divers. Il ne faut pas les banaliser pour autant. Même si ce n’est pas une pathologie, mais plutôt une réaction similaire à celle d’un deuil, elle peut devenir excessive et il peut être nécessaire, en phase dure, de l’accompagner, pour éviter des risques de décompensation. En repérant les personnes qui ont éventuellement en plus une fragilité sous-jacente, une vulnérabilité à la dépression.
Faut-il désormais intégrer cette dimension en consultation, voire franchement poser la question : êtes-vous éco-anxieux ?
Pr A. P. : Ce n’est pas facile à aborder lorsque l’on est pris par le temps en consultation et je ne suis pas sûr que le terme parle assez à tout le monde pour poser directement la question de l’éco-anxiété. Mieux vaut demander par de petites questions assez ouvertes si et quels symptômes cliniques se manifestent (sommeil, concentration, ruminations, idées fixes), faire exprimer au patient ce qu’il ressent, voir surtout à quel point cela impacte des décisions concrètes de son quotidien. Ils ressentent en effet souvent une forte culpabilité par rapport à leur alimentation, leurs déplacements, et pour certains jeunes sur le fait d’avoir des enfants. Dans tous les cas - que l’on partage ou non ces inquiétudes sur l’avenir de la planète - tout ceci doit absolument être questionné sans jugement ! Il faut garder en tête que le dérèglement climatique affecte parce qu’il entraîne une sorte de désespoir, dans lequel ces personnes se sentent seules. Les accompagner, c’est avant tout de la parole, puis examiner comment trouver les moyens de mieux vivre cette prise de conscience, sans renier leurs valeurs.
Justement, comment aider concrètement quelqu’un qui souffre visiblement d’éco-anxiété ?
Pr A. P. : Cela passe essentiellement par de petits conseils, qui paraissent banals mais font sens pour un éco-anxieux. Privilégier de temps en temps des moments de déconnexion, sans culpabiliser sur ce que l’on pourrait faire, et où l’on prend soin de soi, par de la relaxation, de l’activité physique. Si possible, s’agissant de personnes préoccupées par la nature, au plus près de la nature. Si les symptômes sont plus développés, caractéristiques d’un trouble anxieux ou dépressif, il faut évidemment conseiller un suivi spécialisé, pas en éco-anxiété, mais dans ce type de troubles. Derrière tout cela, le plus déterminant, reste la capacité du patient à (re)trouver des objectifs de vie, même s’il garde en tête que l’avenir de la planète n’est pas rose. L’anxiété, comme la peur, étant faite pour agir, on peut construire des choses à sa mesure autour d’activités, d’actions ou d’engagements en accord avec ses valeurs. Les partager dans un collectif permet aussi de se sentir mieux.
Pour en savoir plus : Les émotions du dérèglement climatique : l’impact des catastrophes écologique sur notre bien-être et comment y faire Face. Pr Antoine Pelissolo, Dr Celie Massini (Flammarion, 2021)
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