Les hallucinations sont des manifestations très fréquentes, souvent associées à tort à la schizophrénie. On les retrouve dans différents troubles, qu’ils soient psychiatriques ou organiques. On estime même que 5 % de la population générale non suivie pour un trouble psychiatrique particulier aurait présenté des phénomènes hallucinatoire (1). Voire 8 à 10 % des enfants (2).
Les hallucinations doivent être différenciées d’une expérience « pseudo-hallucinatoire » ou sensorielle inhabituelle. Traditionnellement en psychiatrie, on distingue différentes catégories de fausses perceptions. Un premier niveau est représenté par l’illusion, c’est-à-dire la perception déformée d’un objet réel ; le phénomène est physiologique, chacun peut y être sensible. On peut y classer, par extension, la sensation du membre fantôme qui traduit un décalage entre le schéma corporel non actualisé et l’état du corps réel. Les perceptions sans objet appartiennent au deuxième niveau de fausse perception : dans ce cas, rien dans l’environnement ne motive la perception qui cependant existe. Quand le sujet est capable de critiquer et de trouver anormal sa sensation, on parle d’hallucinose. Ainsi, des hallucinations musicales peuvent survenir chez des personnes qui développent une surdité ou des hallucinations visuelles en cas de syndrome de Charles-Bonnet survenant dans les suites d’une DMLA. Enfin, la perception sans objet peut ne pas être critiquée par l’individu ; c’est le cas des hallucinations. Dans la schizophrénie, le patient peut par exemple reconstruire la réalité en fonction de la fausse perception (rationalisme morbide). Il l’intègre à sa réalité sans la critiquer.
Mais attention, les hallucinations ne sont pas propres à la schizophrénie. Des hallucinations peuvent également être observées dans d’autres troubles psychiatriques que la schizophrénie (dépression, stress post-traumatique, trouble de personnalité borderline, etc.), chez l’enfant en cas de fièvre, dans certaines maladies métaboliques ou génétiques, après la prise de certains médicaments ou de drogues hallucinogènes.
Des échelles psychométriques sensibles et spécifiques
La psychiatrie est une discipline essentiellement clinique qui ne peut généralement pas s’appuyer sur des examens complémentaires pour valider le diagnostic positif. « Mais, explique le Pr Renaud Jardri, on peut parfois caractériser la symptomatologie en utilisant des échelles validées, quantifiées. Ce sont des outils psychométriques ayant la capacité de correctement identifier le symptôme et de le quantifier (cette capacité se traduit par la sensibilité et la spécificité de ces échelles). Certaines échelles donneront des scores de sévérité, d’autres seront davantage à visée diagnostique ou de dépistage. Une échelle doit être sensible (en repérant le symptôme) et spécifique (en ne donnant pas de faux positifs). C’est une question d’équilibre ». Dans les hallucinations, c’est surtout la caractérisation du symptôme qui est explorée, soit quantitativement avec un score de sévérité, soit qualitativement en essayant de décrire la phénoménologie de l’hallucination (fréquence, modalités impliquées, critique ou non, référence ou non à des souvenirs, capacité de contrôle…). Les outils quantitatifs sont plutôt utilisés pour évaluer la sévérité et par la suite l’impact de la prise en charge de manière longitudinale. Plusieurs équipes ont développé leurs propres échelles. Certaines, très simples comme l’Auditory hallucination rating scale (AHRS), étudient l’intensité des voix chez le patient schizophrène. Mais la limite de cet outil est qu’il se limite à la modalité auditive, partant du principe que c’est la modalité principalement retrouvée dans la schizophrénie. 70 % des expériences hallucinatoires dans la schizophrénie sont en effet auditives, mais 30 % sont également visuelles (3). Par ailleurs, ces expériences peuvent être également observées dans de nombreux autres troubles.
Actuellement, de nouveaux outils se développent au sein du Consortium international de recherche sur les hallucinations (ICHR) [4]. Deux d’entre eux, en cours de validation, tendent à se démarquer des échelles précédemment évoquées, l’un pour les adultes (QPE), l’autre pour les enfants (MHASC). Leur intérêt est d’explorer les hallucinations dans plusieurs modalités sensorielles et, surtout, ils sont validés dans plusieurs pathologies, par exemple les hallucinations visuelles de la maladie de Parkinson ou chez l’enfant dans le cadre d’une épilepsie ou d’une maladie de surcharge. Concernant les adultes, il s’agit du Questionnaire for psychotic experience (QPE), qui va très prochainement être disponible en français, en version papier ou sur le web (5). « Pour les enfants, nous développons la Multisensory hallucination scale for children (MHASC), déclare Renaud jardri. Cet outil disponible sur tablette permet d’évaluer l’expérience hallucinatoire de l’enfant et de l’adolescent. Elle sera prochainement téléchargeable sur le site mahsc.fr et mhasc.eu. Un certain nombre de propriétés de l’hallucination seront quantifiées dans chaque modalité sensorielle : fréquence, intensité, complexité sensorielle, degré de critique, explications que l’enfant peut donner du phénomène… ».
L’imagerie fait une percée
L’imagerie est utilisée aujourd’hui en psychiatrie essentiellement pour écarter un diagnostic différentiel. Mais de nouvelles applications apparaissent dans la discipline et en particulier dans le domaine des hallucinations. « On peut, explique R. Jardri, identifier des cibles thérapeutiques, par exemple pour la stimulation cérébrale non invasive. Ce qui permet de réduire les hallucinations chez des patients qui répondent de façon incomplète à un traitement médicamenteux ou à une prise en charge psychothérapeutique. Mais le rationnel doit être fort sur les régions stimulées. Or, depuis quelques années, on bénéficie d’une imagerie qui identifie les réseaux cérébraux actifs dans les épisodes hallucinatoires. C’est l’imagerie de capture hallucinatoire (6). À partir de cette imagerie fonctionnelle (neuronavigation), des cibles cérébrales peuvent être identifiées et éventuellement modulées par stimulation transcrânienne non invasive. Cette technique est en cours de validation ».
(1) Johns et al. 2014
(2) Jardri et al. 2014
(3) Waters et al. 2014
(4) http://hallucinationconsortium.org
(5) http://qpeinterview.com/en
(6) Jardri et al. 2011
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