C’est en 2003 que la Food and Drug Organisation (FDA) constatait, après examen d’essais randomisés contrôlés utilisant la paroxétine chez les adolescents, qu’il y avait une augmentation du signal suicidaire chez les sujets traités par cette molécule par rapport au placebo. Toutes les données pour un grand nombre d’antidépresseurs (AD) furent alors analysées et, en septembre 2004, la FDA lançait un avertissement disant que ces médicaments pouvaient augmenter le passage à l’acte suicidaire chez les enfants et les adolescents quel que soit l’AD (1).
La polémique commençait, un mouvement de recul de la prescription des AD dans la dépression et une grande méfiance s’instauraient, alimentés par les médias.
«À mon avis, déclare le Pr Sébastien Guillaume, cette polémique a fait beaucoup de mal. Il faut rester objectif et aborder plusieurs approches du problème permettant de débattre autour de la décision de la FDA ».
Les preuves de l’efficacité
La première de ces approches relève de la pharmaco-épidémiologie. En effet, après les annonces de la FDA, les ventes d’AD ont diminué. Les données de 25 années de prescription d’AD dans 26 pays ont été collectées et les résultats ont montré que la diminution du nombre de boîtes d’AD vendues était corrélée à une augmentation du taux de suicides (2). Ces données venaient conforter celles d’une étude plus ancienne qui montrait que la prescription d’AD était inversement corrélée à la mortalité suicidaire (3).
En outre, une étude sur plus de 140 000 personnes a également mis en évidence que le taux de tentatives de suicide chez les patients déprimés était beaucoup plus important dans le mois précédent l’instauration d’un traitement et diminuait pendant le traitement, que celui-ci consiste en la prescription d’un AD par un médecin généraliste ou un psychiatre, ou encore en une psychothérapie (4).
«L’étude du Gotland, souligne S. Guillaume, plaide également en faveur du traitement par AD. Dix-huit médecins généralistes de cette petite île suédoise ont été formés à la prévention du suicide, à la détection du risque suicidaire et à la prescription des AD. Les résultats sont éloquents ; en effet, il y eut une diminution de 75 % des journées d’hospitalisation psychiatrique, une augmentation de 50 à 80 % des prescriptions d’AD et une diminution de 60 % du nombre des suicides » (5). Ces résultats ont été répliqués dans plusieurs études et plusieurs pays.
Enfin, il a été suggéré que si l’on prescrivait un antidépresseur à tous les sujets déprimés français on pourrait diviser la mortalité suicidaire par 3, quels que soient l’âge, le genre et l’histoire suicidaire du sujet (6).
Les arguments qui alimentent la réticence
Il est important de noter que la prescription d’antidépresseur concerne les patients souffrant d’une dépression unipolaire. La prescription d’antidépresseur dans le cadre d’un trouble bipolaire reste discutée en association et contre-indiqué en monothérapie.
Il faut également remarquer que, dans les études versus placebo, l’augmentation des idéations suicidaires concerne uniquement les sujets de moins de 25 ans. Ceci alimente probablement la prudence vis-à-vis des médicaments particulièrement dans cette tranche d’âge (7). Plusieurs études non randomisées suggèrent également une augmentation du risque suicidaire dans les premières semaines de traitement particulièrement en cas d’épisode dépressif sévère, chez des patients présentant des idéations suicidaires au moment de l’instauration du traitement, ou chez des personnes ayant une histoire personnelle de tentative de suicide.
Dans une publication récente, les auteurs montrent également que le risque suicidaire double chez les patients âgés de moins de 25 ans si la prescription d’AD excède le dosage recommandé (8), une augmentation des idéations suicidaires est également retrouvée dans une étude française chez des adultes en cas de prescription au-delà de l’autorisation de mise sur le marché (9,10). Si ces travaux ont le mérite de souligner l’importance du dosage de l’AD dans la prise en charge du patient déprimé, il est à noter qu’ils ne prennent pas en compte des facteurs de confusion comme la présence de facteurs de risques suicidaires, les idées suicidaires initiales et l’intensité de l’épisode dépressif.
« Il faut, conclut S.Guillaume, retenir que les données disponibles suggèrent une efficacité des antidépresseurs non seulement pour traiter la dépression mais également pour prévenir le suicide. Par contre, ceux-ci doivent être bien utilisés : un trouble bipolaire doit avoir été éliminé et les facteurs de risque suicidaire évalués. Il faut garder en tête que le risque suicidaire peut augmenter dans les premières semaines de traitement et que le médicament doit être prescrit aux doses recommandées. Il serait préjudiciable de ne rien faire devant un patient déprimé ».
D’après un entretien avec le Pr Sébastien Guillaume, service urgences et post-urgences psychiatrique, CHRU Montpellier
(1) Hammad T, editor. Results of the analysis of suicidality in pediatric trials of newer antidepressants. Psychopharmacologic Drugs Advisory Committee with the Pediatric Subcommittee of the AntiInfective Drugs Advisory Committee Meeting ; 2004 ; Rockville.
(2) Ludwig J et al. Anti-depressants and suicide. J Health Econ 2009
(3) Isacsson G, Acta Psych Scandinavica 2000 ;102:113-7.
(4) Simon GE, et al. Suicide attempts among patients starting depression treatment with medications or psychotherapy. Am J Psychiatry 2007 Jul ;164(7):1029-34
(5) Rutz et al. 1988, 1990, 1991
(6) Cougnard A et al. Impact of antidepressants on the risk of suicide in patients with depression in real-life conditions: a decision analysis model. Psychol Med. 2009 Aug ;39(8):1307-15
(7) Stone et al. BMJ 2009
(8) Miller M et al. Antidepressant dose, age, and the risk of deliberate self-harm. JAMA Intern Med. 2014 Jun ;174(6):899-909
(9) Courtet P et al. Antidepressant Dosage and Suicidal Ideation. JAMA Intern Med. 2014
(10) CNS Drugs. 2011 Jun 1;25(6):459-71
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