Attribué à Newton, le concept de spectre a été appliqué à la psychiatrie et plus particulièrement aux troubles bipolaires par Klerman en 1983 avec une triple ambition : définir plusieurs phénotypes qui relèvent très probablement d’une seule étiopathogénie ; permettre de ce fait un dépistage plus large des troubles pour, in fine, améliorer la prise en charge des patients qui en souffrent.
« Cette démarche était certes louable, mais ce concept est aujourd’hui critiqué, tant par les psychanalystes que les psychiatres, rappelle le Dr Marc Masson. Le trouble bipolaire dans sa forme typique touche environ 1 % de la population. Or, avec cette notion de spectre élargi, notamment aux formes atténuées ou à celles associées à d’autres troubles psychiatriques, 7,8 voire 10 % (et au-delà pour certains auteurs…) de la population semble concernée. Si dilué et pléïomorphique, le concept de spectre bipolaire perd beaucoup de sa pertinence sur le plan de la recherche, de la thérapeutique mais aussi de la clinique et de la psychopathologie ».
L’appellation de trouble bipolaire manque elle aussi de pertinence, car l’humeur elle-même oscille naturellement au gré de la journée, des mois, des années, entre deux pôles : celui du plaisir, du bien-être et de l’autre celui de la souffrance et de la tristesse, comme l’a décrit Jean Delay dans sa célèbre définition. L’identification au trouble bipolaire est alors aisée et souvent trompeuse pour beaucoup de patients mais aussi pour les médecins.
L’approche spectrale (et sa conception trop floue de la maladie bipolaire) a péché par excès et a entraîné de nombreux surdiagnostics chez l’adulte (qui y trouve parfois quelque chose de rassurant, pour ne pas dire « à la mode »). Les surdiagnostics chez l’adolescent voire chez l’enfant (fréquents aussi États-Unis) sont également très problématiques, au point que le récent DSM-5 a introduit une nouvelle catégorie diagnostique, le « trouble disruptif avec dérégulation émotionnelle » afin d’endiguer ce phénomène de surdiagnostics et de diminuer les prescriptions inappropriées qui leur sont corrélés.
Maladie maniacodépressive
« Il apparaît aujourd’hui important de revenir à un concept de spectre plus resserré, recentré sur la maladie bipolaire elle-même et non plus irradiant au-delà de ses frontières », estime le Dr Masson, avant de préciser que dans leur célèbre traité (2e édition publiée en 2007), Frederick Goodwin et Kay Jamison ont repris l’appellation de « maladie maniacodépressive » (qu’ils ont choisie pour titre, Manic-Depressive Illness), en précisant en sous-titre « les troubles bipolaires » typiques et « la dépression récurrente », le plus souvent associés à des caractéristiques mélancoliques. Leur choix a été guidé par des raisons physiopathologiques et thérapeutiques, comme ils s’en expliquent dans leur introduction.
Aujourd’hui, il est nécessaire de mieux caractériser les épisodes de la maladie ; en précisant, l’âge de début, la polarité prédominante, la qualité de l’intervalle libre (l’existence éventuelle de symptômes thymiques résiduels et de troubles cognitifs), les antécédents familiaux et personnels, les comorbidités psychiatriques et somatiques, la réponse thérapeutique au lithium, les antécédents suicidaires.
La recherche des facteurs prédictifs de bipolarité est devenue une des clés de la prise en charge des sujets à ultra-haut risque (notamment les enfants de parents souffrant de troubles bipolaires). Cette approche dite du « staging » (ou des stades évolutifs), vise à repérer en amont de déclenchement de la maladie les prodromes spécifiques (troubles du sommeil, humeur labile) ou non de la maladie. L’objectif est de proposer un accompagnement précoce, des conseils d’hygiène de vie et des mesures prophylactiques (sur le sommeil, les toxiques en particulier).
« C’est grâce à un spectre resserré sur la maladie qu’il sera possible de proposer une prise en charge personnalisée et appropriée des troubles bipolaires », conclut le Dr Masson.
D’après un entretien avec le Docteur Marc Masson. Coordination médicale de la clinique du Château de Garches, M. Masson a dirigé avec Marc-Louis Bourgeois, Christian Gay et Chantal Henry la publication de l’ouvrage : Les troubles bipolaires, éditions Lavoisier, Médecine Sciences, 2014, 620 pages.
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