Dr JACQUES CHANLIAU*
UN CERTAIN nombre d’affirmations non démontrées, auxquelles il serait nécessaire de rompre le cou, servent encore de référence à beaucoup de professionnels :
1. l’insuffisance rénale se traduit par une accumulation de molécules, dont certaines sont toxiques, et le but de la dialyse sera donc de les éliminer, si possible le plus rapidement possible;
2. les petites molécules, que l’on sait facilement doser, ne sont pas toxiques, mais l’élimination de l’urée est un bon marqueur de la qualité du traitement;
3. les moyennes molécules sont les toxines à éliminer, ce qui nécessite de la convection avec des membranes à haute perméabilité.
Un certain nombre de constatations n’ont pas permis de remettre en cause ces paradigmes. Ainsi, l’équivalence, d’abord contestée, des résultats du traitement par dialyse péritonéale par rapport à l’hémodialyse n’a pas pu ébranler l’idée qu’il était nécessaire de réaliser une dialyse plus « efficace », pas plus que l’échec des tentatives d’augmenter le Kt/V de l’urée tant en dialyse péritonéale (1) qu’en hémodialyse (2).
Pas une année ne se passe sans qu’une étude prospective randomisée ne soit mise en place dans le but de démontrer la supériorité de l’hémodiafiltration et des membranes à haute perméabilité. Il est surprenant de voir que toutes sont négatives, même si elles suggèrent que dans certains sous groupes de patients ces techniques peuvent apporter un bénéfice.
Les résultats de DOPPS mis en avant pour montrer la supériorité de l’hémodiafiltration sur l’hémodialyse conventionnelle montrent la nécessité d’importants volumes d’échange pour améliorer la survie, ce qui demande sans doute que la séance dure plus longtemps ; il conviendrait donc de comparer cette population à celle de patients bénéficiant d’une hémodialyse longue ou fréquente et non pas à l’ensemble de la population de DOPPS (3).
D’autres analyses de cette cohorte montrent d’ailleurs clairement l’importance de la durée de traitement (4).
Ainsi, de plus en plus de travaux tendent à prouver la qualité des résultats de la dialyse longue ou fréquente, mais leurs auteurs semblent s’excuser de ces résultats et concluent unanimement leurs rapports en disant que d’autres travaux sont nécessaires.
Revenir aux notions de base.
La séance de dialyse et ses conditions de réalisation sont des éléments fondamentaux de la qualité de vie du dialysé, et sont sans doute l’élément principal du fardeau ressenti. Trop souvent, pour l’équipe soignante et pour le patient, la durée de la séance de dialyse doit être la plus courte possible, quitte à ce que le patient ne tienne plus debout après la séance, et paie l’heure gagnée par une incapacité à vivre correctement entre les séances.
Peut-être faut-il revenir à la notion de base de la toxicologie, qui nous enseigne que la toxicité d’une substance est fonction de sa concentration et de la durée d’exposition. Les techniques continues comme la dialyse péritonéale ou les séances d’hémodialyse longues ou fréquentes, permettent, à défaut d’épuration rapide, de diminuer la durée d’exposition du patient à des taux élevés des toxines, et de limiter leur pic de concentration.
Pour les moyennes molécules, quelques éléments permettent de penser que, si leur épuration a sans doute une importance, il est également possible de diminuer leur génération. Ainsi, pour la bêta-2-microglobuline, un état inflammatoire et l’acidose sont des facteurs favorisants. Diminuer l’exposition aux petites molécules et à l’acidose permet de diminuer la concentration de bêta-2-m, comme on le constate en hémodialyse quotidienne sur les membranes à basse perméabilité (5).
Une récente publication concernant la clairance des fragments de l’acide hyaluronique, montre que, pour cette molécule, présente sous différentes formes dont un fragment de bas poids moléculaire qui peut être éliminé par dialyse, et un fragment de haut poids qui n’est ni dialysable ni adsorbé sur la membrane, c’est bien le fragment de haut poids moléculaire qui diminue après dialyse alors que le taux du fragment dialysable ne bouge pas. Cet article suggère l’existence de mécanismes intracorporels de clairance des moyennes molécules qui mériteraient d’être étudiés (6).
La toxicité des petites molécules comme l’urée connaît un regain d’intérêt. Son action dénaturante des protéines bien connue des biologistes (qui l’utilisent certes à des concentrations nettement supérieures à celles que l’on peut rencontrer chez nos patients), peut cependant avoir un effet sur le catabolisme normal des protéines, et sur la capacité de l’albumine à transporter les toxines qui lui sont liées, contribuant ainsi, avec l’acidose, à l’inflammation chronique de nos dialysés.
Tous ces éléments nous montrent clairement que le but de la dialyse, plus que l’efficacité de la séance d’épuration, doit être de limiter la toxicité entre les séances, ce qui peut être obtenu par une dialyse plus longue ou plus fréquente, même si son efficacité à épurer les petites et moyennes molécules est inférieure.
Un numéro récent du Journal of the American Society of Nephrology contient quatre articles (7,8,9,10) montrant clairement la supériorité de la dialyse intensive et la nécessité d’augmenter la durée ou la fréquence des séances d’hémodialyse. Nous pouvons nous étonner, comme Peter Laird (10) que malgré tout le « take home message » soit de nouveau : « des études complémentaires sont nécessaires », et que demain des milliers de patients vont continuer à être traités de manière conventionnelle comme si rien n’avait été publié, ni tiré de l’expérience de ces cinquante dernières années.
*ALTIR (Association lorraine pour le traitement de l’insuffisance rénale), Vandœuvre-les-Nancy.
(1) Burkart JM. The ADEMEX study and PD adequacy. Blood Purif 2003;21(1):37-41.
(2) Eknoyan G, Beck GJ, Cheung AK, et al: Effect of dialysis dose and membrane flux in maintenance hemodialysis. N Engl J Med 2002;347:2010-19
(3) Canaud B, Bragg-Gresham JL, Marshall MR et al. Mortality risk for patients receiving haemodiafiltration versus haemodialysis: European results from the DOPPS. Kidney Int 2006;69:2087-93
(5) Leypoldt et al. Clearance of middle molecules during haemodialysis and haemodiafiltration: new insights. Nephrol Dial Transplant 2012;27:4245-47.
(6) Goswami et al. Paradoxical clearance of hyaluronan fragments during haemodialysis and haemodiafiltration. Nephrol Dial Transplant 2012;27:4420-22.
(7) Nesrallah GE, Lindsay RM, Cuerden MS, et al. Intensive hemodialysis associates with improved survival compared with conventional hemodialysis. J Am Soc Nephrol 2012;23:696-705.
(8) Weinhandl ED, Liu J, Gilbertson DT, et al. Survival in daily home hemodialysis and matched thrice-weekly in-center hemodialysis patients. J Am Soc Nephrol 2012;23:895-904.
(9) Lacson E Jr., Xu J, Suri RS, et al. Survival with three-times weekly in-center nocturnal versus conventional hemodialysis. J Am Soc Nephrol 2012;23:687-695.
(10) http://www.hemodoc.com/2012/02/jasn-intensive-dialysis-series-more-is-b…
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