Dans un contexte social profondément chahuté, les syndicats de médecins libéraux, qui négocient actuellement avec l'Assurance maladie le financement des CPTS et des postes d'assistants médicaux, semblent avoir perdu du terrain dans la profession. Baisse de la participation aux élections professionnelles, érosion du nombre d'adhérents, fréquentation en berne aux réunions... les symptômes sont nombreux. Le Généraliste a interrogé des syndicalistes et praticiens pour connaître les raisons de ce désamour et tenter de comprendre s'il est profond et durable.
À moins d’être resté dans une grotte ces derniers mois, difficile de ne pas sentir le vent de contestation qui souffle actuellement dans l’Hexagone. De nombreux Français, qu’ils aient revêtu ou non un “gilet jaune”, clament leur ras-le-bol. La colère exprimée contre la pression fiscale et le manque de dialogue social s'adresse principalement aux élites.
Malheureusement pour eux, les syndicats de médecins libéraux n’échappent pas à cette crise de la représentativité. Perte d’adhérents, taux de syndicalisation en berne, chute de la participation aux élections professionnelles (URPS) ou encore fréquentation moindre des réunions locales… Les organisations syndicales sont elles aussi confrontées à la perte de confiance et d’implication de la profession médicale.
Une chute de la syndicalisation
Selon une enquête réalisée sur legeneraliste.fr, 58,6 % des répondants (87 médecins) estiment que les syndicats ne défendent pas bien les intérêts de la profession. Les griefs sont multiples : « inefficacité de l’action syndicale », « rivalité entre les organisations », « manque d’écoute », « hyper-politisation », « conflits d’intérêts » en raison de l’attribution de fonds conventionnels lorsque l’un d’eux signe la convention médicale (voir encadré)…
Les syndicats ne répondent pas forcément aux espoirs de la profession. Désignée comme l'une des missions prioritaires des syndicats, les revalorisations tarifaires (citées par 61 % des sondés) sont de plus en plus difficiles à obtenir. La dernière hausse de la consultation (de 23 à 25 euros) remonte à mai 2017, après 6 ans de blocage, et les revalorisations reposent principalement sur des forfaits (ROSP) ou sur la création de nouvelles consultations (complexes et très complexes...). Les syndicats n'ont pas forcément toujours convaincu les répondants sur d'autres sujets sur lesquels ils sont les plus attendus : la défense du statut libéral (citée par 48 % des répondants), fréquemment mis à mal et ne séduisant toutefois plus la jeune génération, et la défense du médecin traitant (citée par 41 %), bousculé par les nouveaux usages numériques.
Au scrutin des unions régionales (URPS), le taux de participation des médecins libéraux n’a fait que chuter, scrutin après scrutin. Ainsi en 2015, seulement 40 % des praticiens ont voté. Quinze ans plus tôt, plus de la moitié de la profession s’était exprimée (53 %). Ce taux de participation reste bien supérieur à celui d’autres professions, mais cette violente baisse n’est pas anodine (voir l’interview de Patrick Hassenteufel).
Si aucune donnée récente sur le taux de syndicalisation des médecins n’existe, il semblerait que la profession, historiquement plus syndiquée que la moyenne, n’adhère plus autant que par le passé à ces organisations collectives. Il était communément admis au début des années 2000 qu'environ 25 % des praticiens étaient syndiqués. « Je pense que tous nos syndicats ont perdu des adhérents, admet le Dr Philippe Vermesch, président du SML (Syndicats des médecins libéraux). Au SML, nous avons dû en perdre une dizaine de pourcents depuis cinq ans. » « Comme tous les syndicats professionnels, nous assistons à une érosion lente et progressive de nos cotisants », confirme le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français). Seul MG France revendique avoir augmenté ses troupes ces dernières années. « Nous avons gagné des adhérents depuis la signature de la convention médicale de 2016 », assure son président, le Dr Jacques Battistoni.
Un phénomène sociétal ?Malgré les pertes d’effectifs, le taux de syndicalisation des médecins reste supérieur à celui des salariés. Selon la Dares (Direction de l'animation de la recherche des études et des statistiques, ministère du Travail), celui-ci s’élevait à 11 % en 2013. Les présidents de syndicats soulignent d’ailleurs que le phénomène est global. « Il y a un problème de société. On le voit bien avec les gilets jaunes : il est difficile d’avoir un leader, de s’organiser, et ce dans tous les syndicats », observe le Dr Vermesch. Pour le Dr Ortiz, « l’appartenance à un collectif est de moins en moins une préoccupation pour les Français comme pour les médecins ». « On assiste à un repli sur soi dans tous les domaines, note le patron de la CSMF. Cela se traduit par une baisse de fréquentation de nos réunions physiques. (…) À la Confédération, nous n’avons pas la même assistance qu’il y a vingt ou trente ans. » « Je ne sais pas s’il y a une défiance grandissante à l’égard des syndicats, observe quant à lui Jean-Paul Hamon, président de la FMF (Fédération des médecins de France). Mais il y a une forme d’indifférence. »
Un sujet de discorde, l’attribution des fonds conventionnels
Pointée du doigt par certains, l’attribution de fonds en cas de signature de la convention médicale par les syndicats de médecins libéraux entretient un sentiment de collusion entre ces derniers et l’Assurance maladie. Mais à quoi servent ces financements ? Quel est leur montant ?
D’après l’Assurance maladie, les syndicats signataires – depuis la signature du SML et de la CSMF en 2018, tous les syndicats ont paraphé la convention de 2016 – se partagent chaque année 2,7 millions d’euros. 25 % de la dotation est répartie équitablement entre tous les signataires, le reste l’est au prorata du nombre de sièges attribués au sein de la section professionnelle de la commission paritaire nationale (CPN). Ces fonds sont réservés à la formation des médecins et des cadres syndicaux à cette convention.
Fermement opposé à cette attribution conditionnée à signature, le Dr Jérôme Marty plaide en faveur d’une rétribution dès lors qu’un syndicat est jugé « représentatif ». « Qu’il y ait une part de subvention aux syndicats, cela s’est toujours fait. Mais ça ne doit pas être lié à la signature de la convention, pour écarter tout conflit d’intérêts », insiste le Dr Marty.
Mi-janvier, le Dr Ortiz s'est également positionné pour un changement des règles. La CSMF a appelé à « clarifier la vie syndicale médicale » en déconnectant l’attribution des fonds conventionnels de la signature de la convention. « Les syndicats ne doivent pas négocier le pistolet sur la tempe pour obtenir ces fonds. »
Toucher tous les médecins, une tâche ardue
On le comprend, un fossé se creuse entre médecins et syndicats. Mais à qui la faute ? Pourquoi les praticiens ne se reconnaissent-ils plus dans leurs représentants ? Pour le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S (Union française pour une médecine libre-syndicat), « dès qu’on parle de syndicalisme aux médecins, il y a un mouvement de retrait, parce qu’ils ont tellement été trahis et mal servis qu’ils se disent que les syndicats ne servent à rien ». Le généraliste de Fronton, qui avait quitté la CSMF au moment de la signature de la convention de 2011 – actant la mise en place d’une rémunération à la performance (ancêtre de la ROSP) – ambitionne pourtant de faire de l’UFML-S un syndicat représentatif.
« En période électorale, on a parfois l’impression d’être inondé de courriers et de newsletters par les syndicats. Ensuite ils apparaissent plus rares », estime le président de Reagjir (Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants), le Dr Yannick Schmitt. Il faudrait d’après lui un lien plus fort avec les médecins de terrain tout le reste de l’année. Pour ce faire, son syndicat – reconnu représentatif depuis peu – organise par exemple des soirées de formation couplées à des « apéritifs syndicaux ». Celui qui ne se reconnaît dans « aucun syndicat senior » juge également nécessaire d’apporter un peu de diversité et de jeunesse au syndicalisme. « Les photos des tables des négociations conventionnelles parlent d’elles-mêmes. C’est sûr que ça ne contribue pas à rendre les syndicats plus sexy », explique-t-il.
« Que pourraient améliorer les syndicats ? Leur façon de consulter les praticiens, de faire plus de démocratie participative, avoir plus d’acteurs de terrain dans les bureaux et faire davantage de retours vers la base », diagnostique le Dr Marty. S’ils assurent se rendre fréquemment sur le terrain et soulignent qu’ils ne sont pas des « professionnels du syndicalisme », les syndicats représentatifs de médecins libéraux n’attirent pas les foules et ont donc du mal à toucher tous les médecins. « On ne remplit pas un Zénith quand on fait des réunions syndicales », confie le Dr Jean-Paul Hamon. « Le SML organise des réunions partout en France, mais pour réunir plus de 15 médecins, il faut se lever tôt », regrette quant à lui le Dr Philippe Vermesch.
« Où en serions-nous sans les syndicats ? »
« Nous avons un vrai problème d’information des médecins sur le terrain. Cela limite forcément la portée de notre action », souligne de son côté le Dr Jacques Battistoni. D’autant que selon lui, les mails se perdent dans la masse de messages reçue quotidiennement et l’envoi d’un courrier à tous les généralistes de France coûte une cinquantaine de milliers d’euros.
S'ils reconnaissent – parfois à demi-mot – certaines de leurs lacunes, les syndicats ne manquent pas de rappeler que leur rôle est essentiel. Leurs branches régionales et départementales organisent des réunions d'information et de formation (à la convention médicale, à la nomenclature...). Ils soutiennent également les praticiens en cas de litige avec les caisses ou dans les commissions paritaires locales et apportent une assistance juridique.
« Sans nous, ça ferait longtemps que les médecins ne seraient plus des libéraux. Ils seraient à la capitation avec un tiers payant généralisé », lance le Dr Vermesch. « Que les tarifs et les résultats soient insuffisants, c’est vrai », admet de son côté le Dr Ortiz. « Mais si les syndicats ne s’étaient pas battus, aujourd’hui où en serions-nous ? », interroge le patron de la CSMF.
Vos principales critiques recueillies sur legénéraliste.fr
• « Les syndicats signent n'importe quoi pour l'argent de la convention, car ils ne peuvent pas vivre des cotisations des médecins, qui sont des individualistes. Cotisations trop chères par ailleurs. La seule solution serait de rendre la syndicalisation obligatoire, comme l'adhésion à l'Ordre des médecins. »
• « Je n’accepte pas que 10 % de syndicalistes décident pour 90 % des généralistes. Hélas, nos représentants sont bornés et ne souhaitent pas évoluer. »
• « Les syndicats ont des positions dogmatiques, je ne me sens pas représenté. Le syndicalisme est un truc de notables nostalgiques peu intéressés par les vrais problèmes de la vie. »
• « Les syndicats ne sont pas indépendants ! »
• « Je n'ai aucune confiance en les syndicats. Il y a une rivalité entre eux. Et ils abdiquent devant les autorités, malgré leurs proclamations. »
• « Les syndicats ne pensent qu’à leurs cadres qui vont être pris en charge par l'Assurance maladie s’ils signent la convention médicale. »
• « Je suis syndiqué car si tu ne t’occupes pas de politique, la politique s’occupera de toi. »
• « Je me suis syndiqué pour être un acteur de la défense de la profession et de l'organisation du système de soins, car le système actuel ne me satisfait pas. »