Entretien avec le Pr Philippe Amouyel*

Alzheimer, l'incidence marque le pas

Par
Publié le 23/09/2016
Article réservé aux abonnés
Plusieurs études ont montré une stabilisation des nouveaux cas de la maladie d’Alzheimer dans les pays riches. À l’occasion de la Journée mondiale consacrée à cette pathologie, le Pr Philippe Amouyel l’explique par l’élévation du niveau d’éducation et l’essor de la prévention cardio-vasculaire.
Philippe Amouyel

Philippe Amouyel

Le Généraliste  Plusieurs études révèlent une baisse des cas de  démences en Europe de l’Ouest et aux États-Unis. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pr Philippe Amouyel On observe actuellement une augmentation massive de cette pathologie dans le monde, en particulier dans les pays à bas  et moyens niveaux de revenu. En effet, l’accroissement du développement économique de ces pays fait que les gens vivent plus longtemps et c’est une pathologie dont la survenue est guidée par l’âge. Un certain nombre d’études prospectives ont également été faites sur les pays à haut niveau de revenu.

Entre une génération née en 1920 et une autre née en 1900, l’étude de Rotterdam s’est aperçue que le taux de nouveaux cas d’Alzheimer baissait. D’autres travaux ont retrouvé le même ordre de baisse, entre 15 % et 25 %. Cela a  notamment été vérifié dans l’étude de Framingham qui a calculé les taux d’incidence de démence  sur trente ans. En 1980, il était de 3,6 %. En 1990, il était  tombé à 2,8. En 2000 à 2,2 et en 2010 à 2.
 
Quels sont les facteurs pouvant expliquer cela ?
Pr P. A. Les études montrent que le niveau d’éducation est associé à un âge de début plus tardif des symptômes de la maladie d’Alzheimer. Or, dans les différentes cohortes étudiées, la progression du niveau d’éducation  a été importante, puisqu’en 1945, dans les pays riches, il fallait avoir son certificat d’études alors qu’actuellement le bac est l’objectif, ce qui implique quatre à cinq années d’études supplémentaires. En effet,  la « réserve cognitive », acquise au cours des études et matéralisée sous la forme de connexions inter-neuronales, permet de mieux résister à l’Alzheimer.

Autre facteur pouvant expliquer la baisse : l’augmentation de la prévention des facteurs de risque cardio-vasculaire. On s’aperçoit  ainsi que dans une population de plus de  cinquante ans où les facteurs de risque cardio-vasculaire ne sont pas pris en charge, l’âge de début de la maladie d’Alzheimer est avancé. On pense donc que la prévention cardio- vasculaire pourrait être un facteur qui repousse l’âge de début des démences. Les chercheurs de l’étude de Framingham ont de fait retrouvé  un lien  entre prévention cardio-vasculaire et tendance à la baisse des démences, avec un effet beaucoup plus fort sur les démences vasculaires. En résumé, dans les pays à forts niveaux de revenus, la baisse des nouveaux cas de démences couplée à l’augmentation de l’espérance de vie (facteur de risque de démence) aboutit à une stabilisation.

Qu’en est-il dans les pays à bas et moyens niveaux de revenus ?
Pr P. A.  La grande majorité des  nouveaux cas de démences (56 %) surviennent actuellement en Asie, Amérique du Sud et Afrique. Les projections montrent que 60 à 70 % des cas surviendront dans ces continents d’ici à 20 ou 30 ans, du fait de l’augmentation significative d’espérance de vie attendue. En Asie, on va passer de 19 620 000 nouveaux cas aujourd’hui à  63 170  000 en 2050. Soit un triplement alors qu’en Europe de l’Ouest, parallèlement, le nombre de  nouveaux cas de démence passera seulement de huit à seize millions.

*Epidémiologiste (Institut Pasteur, CHRU Lille)

Propos recueillis par  le Dr Alain Dorra

Source : Le Généraliste: 2768