Dyslipidémie, FA, IC

L’Europe revisite ses recos en cardiologie

Par
Publié le 16/09/2016
Article réservé aux abonnés
Faute d’essais marquants, ce sont surtout les nouvelles recommandations de l’ESC qui auront retenu l’attention cette année lors du congrès européen de cardiologie. L’occasion pour les spécialistes européens de réaffirmer leur position sur certains sujets controversés comme l’intérêt des valeurs seuils de LDL-c lors de la prescription de statines. L’occasion également d’entériner certaines avancées thérapeutiques comme les AOD qui se hissent en première ligne dans la FA ou l’association sacubritil/valsartan officiellement reconnue comme une alternative de seconde ligne aux IEC dans l’insuffisance cardiaque.
ouverture

ouverture
Crédit photo : GUSTO PRODUCTIONS LTD/SPL/PHANIE

Malgré le climat romain, il n’y a pas eu d’actualités brûlantes cette année lors du congrès de l’European Society of Cardiology (ESC) à Rome (27-31 août) avec peu d’essais thérapeutiques marquants et beaucoup d’études négatives qui ne devraient pas vraiment bouleverser les pratiques. En fait, l’ESC 2016 aura surtout été marquée, en dehors de la visite inédite du Pape François, par la publication de diverses recommandations sur la prévention cardio-vasculaire, la prise en charge des dyslipidémies, de la fibrillation auriculaire (FA) et de l’insuffisance cardiaque (IC). Ces mises à jour étaient très attendues, certaines commençant à dater sérieusement, du moins à l’échelle de l’évolution cardiologique !

 

Dyslipidémies : la baisse du LDL reste l’objectif prioritaire

Les guidelines sur la prise en charge des dyslipidémies, élaborées à la fois par l’ESC, la société européenne d’athérosclérose et la Task Force sur les recommandations en prévention cardio-vasculaire devraient permettre de conforter les pratiques quelque peu mises en question à la fois par les diverses controverses et la suppression des cibles thérapeutiques par les recommandations américaines.

Les Européens réitèrent la nécessité de définir et de monitorer des cibles de LDL. « C’est indispensable pour évaluer l’efficacité du traitement et l’adapter, réduire le hiatus entre les recommandations et la pratique quotidienne, insiste le Pr Guy De Backer (Belgique). De plus, cela facilite la communication médecin/malade autour d’un objectif ainsi que l’adhésion du patient aux mesures hygiéno-diététiques et au traitement pharmacologique. » En revanche, le HDL-C, les ApoB/ApoAI, etc., n’ont pas d’intérêt en tant que buts thérapeutiques en dehors de certains contextes.

Les objectifs de LDL sont similaires à ceux des recommandations de 2011 où l’ESC proposait déjà d’atteindre soit un taux de LDL, soit un pourcentage de réduction. Dans le très haut risque, on vise un LDL-C <0.7 g/l ou une diminution d’au moins 50 % lorsque le LDL initial est compris entre 0.70 et 1.35 g/l (au lieu de « si la cible n’est pas atteinte » dans les précédentes recommandations). Pour les patients à haut risque, l’objectif est une valeur cible à moins d’1 g/l ou une baisse d’au moins 50 % si le LDL-C initial est compris entre 1 et 2 g/l, cette alternative n’étant pas mentionnée dans les recommandations précédentes. Si le risque est bas ou modéré l’objectif est inchangé soit un LDL <1,15.

Comme précédemment, il est recommandé de prescrire les statines à la dose maximale recommandée ou au moins la plus haute dose tolérée. En cas d’intolérance, l’ezetimibe et/ou les chélateurs des acides biliaires devraient être envisagés. Parmi les autres
anticholestérolémiants, on note la disparition de l’acide nicotinique, dont l’utilisation était limitée par ses effets indésirables. Aussi, en cas de baisse insuffisante du LDL sous statines, préconise-t-on son association avec l’ézétimibe, éventuellement avec un chélateur des acides biliaires en cas d’échec. Comme on s’y attendait, les anti-PCSK9 intègrent l’arsenal thérapeutique dans l’indication « patients à très haut risque, en échec de traitement par statine à dose optimale associée à l’ézétimibe ou en cas d’intolérance aux statines ».

En cas d’hypertriglycéridémie, l’acide nicotinique et les acides gras ne sont plus mentionnés, et les recommandations précisent que les statines restent le traitement de premier choix, les fibrates étant envisageables en 2e intention. Chez les plus âgés, atteints de maladie cardiovasculaire (MCV), les objectifs lipidiques et les indications des statines sont les mêmes que chez les plus jeunes, sous réserve de les débuter à faible dose et de les titrer ensuite avec prudence.

 

Fibrillation auriculaire : les AOD se hissent en première ligne

Concernant la fibrillation auriculaire, par rapport aux guidelines de 2012, deux points ressortent : l’indication des NACO en première intention et le dépistage précoce des FA silencieuses. « En effet ces dernières sont tout aussi susceptibles de se compliquer d’un AVC/AIT, ce qui amène à recommander de prendre le pouls de toute personne de plus de 65 ans et d’envisager, au-delà de 75 ans, un ECG systématique voire un Holter », insiste le Pr Stefan Agewall (Norvège). Les symptômes devront être évalués par le score EHRA (European Heart Rhythm Association) modifié incluant la fatigue et l’essoufflement et stratifié en asymptomatique, léger, modéré, sévère et handicapant.
La nécessité de l’anticoagulation chez tous les patients en dehors des faibles risques est, bien sûr, rappelée.

Fait nouveau, les recommandations sont désormais différentes pour les hommes et les femmes, l’anticoagulation étant indiquée si le CHA2DS2-VASc (qui évalue le risque thrombotique) est supérieur ou égal à 2 chez l’homme et à 3 chez les femmes, le risque d’AVC ne semblant finalement pas plus élevé chez ces dernières. Pour les faibles risques – CHA2DS2-VASc<1 chez les hommes et 2 chez les femmes – le traitement anticoagulant est à envisager en fonction du risque hémorragique, de l'activité et du choix du patient. À noter que la référence au score HAS-BLED (qui évalue le risque hémorragique)  disparait, « les facteurs de risque thrombotiques et hémorragiques étant très similaires et les patients à haut risque hémorragique étant généralement ceux qui bénéficient le plus d’un traitement anticoagulant », commente le Pr John Camm (Royaume-Uni). Il est remplacé par une liste de facteurs modifiables favorisants l’hémorragie à prendre en charge pour limiter les complications.

Les NACO ou AOD (anticoagulants oraux directs) sont désormais privilégiées en 1re ligne pour l’initiation du traitement anticoagulant du fait de leur meilleur profil de sécurité. En revanche, chez un patient sous AVK dont l’INR est stable, le switch n’est pas recommandé. La place des AVK se limite aux contre-indications des AOD, aux valvulopathies et à l’insuffisance rénale marquée. L’aspirine et les antiplaquettaires n’ont plus aucune indication pour la prévention des AVC.

En ce qui concerne le traitement médicamenteux de l’arythmie, le contrôle de la fréquence l’emporte sur la restauration du rythme sinusal dans la plupart des cas. La dronédarone n’est plus mentionnée et l’amiodarone reste le seul anti-arythmique (AAR) potentiellement utilisable. S’appuyant sur des études confirmant son efficacité et sa sécurité d’emploi, l’ablation devient une alternative aux AAR en première intention dans les récurrences de FA paroxystique et le traitement de choix de 2e ligne dans la FA paroxystique ou permanente après échec des AAR.

 

Insuffisance cardiaque :  un nouvel algorithme pour récuser le diagnostic

Du côté de l’Insuffisance cardiaque chronique, affirmer ou récuser une IC reste toujours complexe. C’est pourquoi, un nouvel algorithme diagnostique basé sur la clinique (antécédents médicaux, examen et ECG de repos), le taux des peptides natriurétiques et la fonction VG à l’échocardiographie a été proposé. Les seuils des peptides natriurétiques excluant le diagnostic d’insuffisance cardiaque ont été revus à la baisse, soit 125 pg/ml pour le NTproBNP et 35 pg/ml pour le BNP. « Cet algorithme est particulièrement adapté à la pratique pour les non-cardiologues, remarque le Pr Piotr Ponikowski (Pologne) et définit clairement quand exclure l’IC et quand demander d’autres examens. »

Par ailleurs, on détermine maintenant trois types d’IC en fonction de la FEVG en insérant entre l’IC à fonction systolique altérée (<40%) et celle à fonction systolique préservée (≥50 %), une forme intermédiaire avec FEVG «moyennement réduite » sans conséquence pratique actuellement mais qui pourrait se révéler pertinente pour la recherche afin de comprendre les caractéristiques, la physiopathologie et les éventuelles thérapeutiques dans cette population nombreuse.

On insiste toujours sur la nécessité de prévenir ou de retarder la survenue d’une IC par le traitement de l’HTA, le recours aux statines chez les coronariens ou à haut risque CV et aux antidiabétiques. Pour le Pr Adriaan Voors (Pays-Bas), « certains antidiabétiques étaient jusqu’ici associés avec un risque de détérioration de la fonction cardiaque, mais nous disposons maintenant d’un inhibiteur du SGLT2 (transporteur sodium-glucose de
type 2) qui réduit le risque d’hospitalisations pour les patients à haut risque bien qu’on manque de données en cas d’IC "authentifiée". » En revanche, depuis les résultats de l’étude SERVE-HF, la ventilation servo-assistée est contre-indiquée dans les apnées centrales du sommeil en cas de fonction VG altérée en raison de l’augmentation de la mortalité.

Le dépistage et la prise en charge des facteurs favorisants et des comorbidités sont essentiels dans l’insuffisance cardiaque, et constituent le seul traitement validé dans l’IC à fonction systolique préservée. Le traitement de fond reste le même, associant IEC ou ARAII, bêta-bloquants et minéralo-corticoides à titration optimale, plus diurétiques en cas de signes de congestion. En cas d’échec, l’association sacubitril/valsartan (LCZ696) remplace l’IEC, avec une titration et un suivi biologique par le NT-PROBNP, le BNP systématiquement augmenté sous sacubitril/valsartan ne constituant plus un marqueur fiable. « Les indications du LCZ696 ont soulevé de nombreuses discussions, pour finalement garder celles correspondant aux critères d’inclusion dans PARADIGM-HF, les experts s’accordant pour demander plus de données avant de l’étendre à une plus large population de patients », commente le Pr Ponikowski.

La resynchronisation chez les patients symptomatiques est maintenant contre-indiquée lorsque le QRS est <130 (au lieu de 120 précédemment) , une étude ayant montré qu’elle augmentait la mortalité dans ce groupe. La mise en place d’un défibrillateur automatique  implantable (DAI) correspond aux mêmes critères que précédemment, dans les troubles du rythme ventriculaire sévères.

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr