La crise sanitaire liée au Covid a remis en perspective l’importance du dépistage des cancers, avec malheureusement une baisse significative des taux de participation en 2020. « Même si, aujourd’hui, on est revenus à des taux assez proches de ceux enregistrés avant la crise, il sera sans doute difficile de “faire revenir” des personnes ayant échappé au dépistage », souligne le Dr Jean-Baptiste Méric, directeur du pôle Santé publique et soins à l’Institut national du cancer (INCa).
L’impératif de relancer ce dépistage organisé a le mérite de donner un coup de projecteur sur les données dont nous disposons. Ainsi, pour le cancer du sein, avant même l’« année Covid », de plus en plus de femmes délaissaient le dépistage. Depuis l’année record de 2011, avec une participation de 53 %, ce taux s’est progressivement érodé pour atteindre 43 % en 2020.
Tenant compte de ces données, à l’avenir, des évolutions seront certainement mises en place dans ce domaine, comme le laisse entrevoir la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 présentée en février dernier. « Pour l’ensemble des dépistages des cancers, la stratégie décennale a comme premier objectif d’appliquer les recommandations aujourd’hui admises, tout en s’intéressant aux innovations techniques », explique Jean-Baptiste Méric.
Approches ciblées
Ainsi, pour le dépistage du cancer du sein, des travaux sont en cours pour savoir si l’utilisation de l’intelligence artificielle dans l’imagerie pourrait remplacer la deuxième lecture. Ou encore pour éventuellement utiliser des tests génomiques en complément de l’imagerie. À terme, c’est le dépistage personnalisé qui est en ligne de mire. Et, parmi les différents travaux effectués dans ce domaine, on attend les résultats de la grande étude MyPeBS. Mais attention de ne pas aller plus vite que la musique, insiste Jean-Baptiste Méric : « Ces études épidémiologiques portant sur de nouveaux protocoles de dépistage demandent du temps et de la rigueur, car évaluer leurs bénéfices-risques nécessite de suivre des cohortes de population de manière prolongée. Avec la nécessité de pouvoir apporter un niveau de preuve suffisant ! »
Les études sur le dépistage ciblé ne se limitent pas qu’aux cancers du sein mais portent aussi sur le cancer colorectal. Concernant le dépistage de ces tumeurs, les résultats ne sont pas au rendez-vous. En 2019-2020, moins de 30 % de la population cible avait effectué un test de dépistage. Alors, pour tenter de réactiver rapidement la participation, de récentes mesures d’ordre organisationnel ont été prises, facilitant l’accessibilité aux tests de dépistage. En 2022, comme cela a été annoncé dans la stratégie décennale de lutte contre les cancers, le kit de dépistage pourra être mis à disposition dans les pharmacies ou disponible via internet.
Enfin, concernant le dernier-né des dépistages organisés – pour le cancer du col utérin –, s’il a officiellement vu le jour en 2018, sa mise en place a pris du temps. Au total, 17,8 millions de femmes de 25 à 65 ans sont concernées ; aujourd’hui, 60 % d’entre elles participent à ce dépistage. Rappelons que l’organisation se fait par « rattrapage », c’est-à-dire que sont invitées à se faire dépister les femmes qui n’ont pas réalisé d’examen dans l’intervalle de temps recommandé.
Autoprélèvements
L’organisation de ce dépistage au niveau national est pratiquement finalisée, avec encore quelques difficultés locales, d’après le Dr Jean-Baptiste Méric : « Pour l’heure, dans certaines régions, il reste à améliorer le traitement des données et des indicateurs émis par ce dépistage, entre les différents acteurs intervenant dans cette organisation. Mais tout devrait être entièrement opérationnel d’ici quelques mois. » À noter que la mise en place de ce dépistage a été contemporaine de nouvelles règles définies par la Haute Autorité de santé en 2019 qui recommande en particulier l’usage du test HPV dès 30 ans. Et là encore, pour améliorer le taux de participation à ce dépistage, et l’optimiser auprès de populations féminines en situation de précarité, des expérimentations sont en cours pour définir la place des autoprélèvements pour rechercher le virus HPV. En marge du dépistage du cancer du col, une autre action importante est bien sûr d’améliorer la vaccination anti-HPV, dont le taux de couverture reste faible : en 2019, seules 27,9 % des jeunes filles de 16 ans sont vaccinées (schéma complet).
Si le médecin généraliste a toujours été très impliqué en cancérologie, « la nouvelle stratégie décennale de lutte contre les cancers insiste sur le champ d’intervention du médecin généraliste allant du traitement à la prévention primaire et au dépistage, souligne Jean-Baptiste Méric. Ainsi, pour le cancer du sein, par exemple, l’importance de la lutte contre les facteurs de risque – tabac, alcool et sédentarité – est aujourd’hui clairement établie ! »
Où en est-on du dépistage personnalisé du cancer du sein ?
Là encore, en raison de la crise du Covid, l’étude internationale MyPeBS (My Personal Breast Screening), lancée en 2019 et financée entre autres par l’Union européenne, sur le dépistage personnalisé du cancer du sein a pris du retard. Sur les 85 000 femmes devant être incluses dans cette étude, pour l’heure, seules 20 000 en Europe l’ont été, et la phase de recrutement vient donc d’être rallongée. Ce travail porte sur des femmes de 40 à 70 ans qui seront suivies durant 4 ans. L’objectif est de comparer les résultats d’un dépistage standard à un dépistage ciblé selon une évaluation des risques faite principalement sur quatre facteurs : densité mammaire radiologique, antécédent familial de 1er degré, antécédent personnel de biopsie du sein et polymorphisme génomique sur test salivaire. Le Pr Corinne Balleyguier, cheffe du département d’imagerie médicale à l’Institut Gustave-Roussy, qui travaille sur l’étude MyPeBS, indique qu’« un autre travail assez proche est en cours en Californie : l’étude Wisdom a la particularité d’effectuer en plus une recherche génomique de BRCA1 et BRCA2. Au Royaume-Uni, l’étude Procas, portant sur plus de 57 000 femmes, a déjà apporté des éléments de réponse. Elle montre le bénéfice d’un dépistage ciblé en intégrant des facteurs cliniques, la densité mammaire et les polymorphismes génomiques. Ces “marqueurs” ont pu en particulier être prédictifs d’un cancer HER2+ ».
Article précédent
Plaidoyer pour une approche populationnelle
Article suivant
Les nouvelles conduites à risque
« Le déficit le plus grave de la gestion de cette crise sanitaire a été l’insuffisance de consultation citoyenne »
Plaidoyer pour une approche populationnelle
Les nouvelles pistes du dépistage
Les nouvelles conduites à risque
Portrait du Dr Ohayon, fondateur du 190 centre précurseur sur la santé sexuelle
Les Français touchés psychiquement pendant la crise
Douleur, le parcours de soins des patients en question
La crise sanitaire : frein ou boost pour les infections ?
« La prévention constitue l’enjeu majeur de la santé publique »
Vaccins, ces questions de fond posées par le Covid
Onco’Link, pour une meilleure coordination ville-hôpital pour les patients cancéreux sous thérapies orales
Un centre ultra-mobilisé contre la sédentarité
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation