Décision Santé. Quel est l'état des lieux de la psychiatrie en France ?
Jean-Jacques Bonamour de Tartre*. La psychiatrie vit un moment de crise, comme elle en a souvent connu, car cette discipline est vulnérable par nature. La démographie des praticiens est en chute libre, de nombreux postes hospitaliers restent vacants, et trouver un pédopsychiatre va bientôt relever de la gageure. Nous sommes également dans une crise de références avec des partis que tout paraît opposer. D'un côté, certains se positionnent à partir d'un avis très scientifique et assez théorique d'une certaine manière, d'autres préconisent une attention clinique tenant plus compte des particularités du patient, tandis que l’approche politique et sociétale tend à prendre de l’ampleur.
D. S. La communauté des psychiatres est-elle partagée entre ces deux tendances ?
J.J.-B de T. Non au contraire. La Fédération française de psychiatrie, notamment, a toujours œuvré à maintenir ces approches divergentes et complémentaires, et elle représente de très nombreuses associations professionnelles. La psychiatrie se définit même comme une discipline médicale imposant des approches multiples, aucune d’elles ne pouvant prétendre répondre à tous les aspects de la pathologie. Mais aujourd'hui, on tend vers un discours officiel fixé sur certaines postures exclusives, ce qui ne correspondent pas du tout à la sensibilité profonde de la plupart des praticiens.
D. S. Vous évoquez ici la polémique au sujet de la prise en charge des autistes...
J.J.-B de T. C'est un de ces exemples en effet qui suscite une confusion regrettable. Nous ne pouvons plus réfléchir tranquillement et rationnellement à cette question du fait des attitudes passionnelles qui ont pris le pas, notamment dans quelques associations de familles. Celles-ci tiennent un discours très négatif sur la psychiatrie de l'enfant, gravement contestée dans sa compétence, et entretiennent une lourde confusion entre psychiatrie et psychanalyse, et tout ceci sert d’argument à un démantèlement de structures de soin pourtant indispensables aux enfants et adolescents en souffrance.
De plus, elles se réfèrent à un certain modèle américain dépassé, exclusivement référé à un certain comportementalisme, alors que les Américains eux-mêmes semblent revenir de ces positions. En résumé, il existe un déni de nos compétences, de nos capacités, voire de notre raison d'être, avec toutes les graves conséquences que cela pourrait avoir en termes d’accès aux soins pour la population.
D. S. Et quelle est la position des pouvoirs publics dans ce débat ?
J.J.-B de T. Ils ont plutôt tendance à être à l'écoute de ces associations, qui ont tout le temps et l’énergie nécessaires à faire leur « lobbying », et la mode est aujourd’hui à considérer que les usagers et leurs associations ont une meilleure compétence que les professionnels. Nombre de confrères ont même l'impression que les pouvoirs publics nous tirent dans le dos, et cela en tenant un discours de psychiatrie-bashing, sans doute aussi pour des raisons économiques : promouvoir des modèles simplistes laisse entrevoir des réductions de coûts…
D. S. Votre profession est-t-elle découragée ?
J.J.-B de T. Elle est en colère ! Nous avons mis en place depuis les années soixante-dix toute la psychiatrie de l'adulte et de l'enfant, à proximité de la population. Nous nous sommes efforcés d'être en lien en même temps avec les institutions (écoles, hôpitaux, services sociaux). Cela a été un travail très important qui a porté beaucoup de fruits. D'une certaine manière, les psychiatres sont victimes de leur succès, car il y a une énorme demande tant en psychiatrie publique que privée. Ce qui est paradoxal avec la position des pouvoirs publics qui tiennent un discours tantôt négatif, tantôt évasif (à partir de la notion très floue de santé mentale, notamment).
L'évolution de notre profession doit sans doute se faire au travers d’une attention plus précise aux questions de droit, avec l’implication des juges des libertés et l’action des contrôleurs généraux des lieux de privation de liberté, ou encore avec le développement du partenariat avec les « usagers », tout en sachant tenir compte de la complexité des choses dans notre domaine : nous avons à apprendre à dialoguer plus et plus souvent.
D. S. Mais les psychiatres n'étaient pas contre ce suivi de la justice ?
J.J.-B de T. Nous ne sommes pas du tout contre ces changements. Mais l'idée qu'on se fait de la psychiatrie aujourd’hui est assez aberrante, en voulant dénoncer la violence comme un arbitraire usuel et délibéré. Car la souffrance psychique, ça fait violence aux patients, à leur entourage, aux professionnels du soin, et l’on tend à oublier les grandes difficultés que doivent affronter les équipes de soins, volontiers mises à mal par une certaine forme de harcèlement administratif nuisible dans lequel les forces vives tendent à se disperser. Nous souhaiterions sortir du cliché des méchantes institutions psychiatriques qui violentent les pauvres malades, comme du cliché des visions simplistes face à des problèmes complexes. Il faut restaurer un authentique travail de pensée des soins, dégagé des positions trop partisanes.
D. S. Y a-t-il d'autres difficultés rencontrées par la profession ?
J.J.-B de T. Certainement, nous sommes face à une « pénurisation » progressive en moyens financiers et surtout humains. Les équipes sont souvent réduites, et la généralisation de l'interchangeabilité des personnels fait que nous n'avons pas toujours le niveau de compétence requis pour s'occuper de grands malades. La situation économique des hôpitaux pèse aussi lourdement sur le fonctionnement des services de psychiatrie. La réglementation administrative fait qu’on est plus occupé à soigner les dossiers que d’écouter les patients… A l’hôpital, la MCO prend trop souvent le pas sur la psychiatrie qui reste la dernière roue du carrosse, car elle ne se laisse pas facilement « normer ». Quant à la psychiatrie libérale, elle vit depuis des années sur une rémunération déclinante et une réduction de ses effectifs.
D. S. Quelles sont alors les mesures que vous demandez aux candidats en général et aux pouvoirs publics en particulier ?
J.J.-B de T. Il serait aussi utile de concevoir et penser la psychiatrie comme un domaine particulier de la MCO, dans lequel les contraintes et les références de pensée sont spécifiques. Un débat construit et solide autour de la discipline devrait surtout être soutenu par nos tutelles avec une adhésion plus ouverte à nos actions et à nos indications. Cette approche multiple de la psychiatrie doit être comprise. Elle a une valeur irremplaçable.
* Président de la Fédération française de psychiatrie.
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