Que ferait donc le médecin de famille français si l’un de ses patients non malade lui réclamait demain de lui prescrire un traitement de neuro-stimulation ? Médecine fiction ? Pas du tout. Le Comité d’éthique prend très au sérieux cette hypothèse, puisqu’il s’est auto-saisi de la question et après 18 mois de réflexions sur le thème, il vient d’y consacrer un avis rendu public le 12 février.
L’affaire concerne des méthodes très variées, qui vont de la prise par des sujets bien portants de produits comme le métylphénidate (la Ritaline des enfants hyper actifs), le modafinil (normalement indiqué dans la narcolepsie) en passant par les BZD, antidépresseurs et autres inhibiteurs de la cholinestérase.
Neurofeedback ou ultrasonographie transcrânienne
Plus sophistiquées encore. A côté de ces stimulants cognitifs, on trouve également des techniques comme la stimulation magnétique transcrânienne (SMT) ou la stimulation électrique transcrânienne directe (SETD) d’ordinaires utilisées en psychiatrie pour influencer l’activité des neurones, mais qui commencent, parait-il, à connaître certaines applications chez le sujet non malade pour la résolution de problèmes complexes ou la modification de l’état émotionnel, par exemple. Et ce n’est qu’un début : car l’armée américaine a aussi mené des travaux "prometteurs" à partir d’ultrasonographie transcrânienne pulsée avec casque individuel...
[[asset:image:701 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["GARO\/PHANIE"],"field_asset_image_description":[]}]]Le tour d’horizon des méthodes possibles inclut aussi le neurofeedback qui offre à la personne la possibilité de modifier en temps réel sa propre activité cérébrale. Il va jusqu’à la stimulation cérébrale profonde (SCP), utilisée depuis 1987 pour traiter les mouvements anormaux dans le Parkinson, mais qui, en dépit du caractère invasif de cette technique chirurgicale, pourait bien un jour connaître une utilisation en neuro-stimulation sur sujets non malades, prédit le CCNE.
8 à 25% des étudiants américains
« Il n'y a pas d'études en France, comme il y en a sur le tabac, qui permettrait de mieux cerner la fréquence du phénomène », souligne la neurologue Marie-Germaine Bousser, co-rapporteur de l'avis avec le philosophe Ali Benmakhlouf. Dans son avis, le Comité d’Ethique convient en effet que l'importance du recours à toutes ces méthodes est mal connue, même si on estime que 8 à 25% des étudiants américains prendraient au moins une fois par an des médicaments en vue de neuroamélioration, pour l’essentiel du Méthylphénidate. De son côté, la revue Nature a évalué dans une enquête lecteurs à environ 20% d’entre eux les consommateurs de médicaments neuro-optimisateurs…
Difficile donc de quantifier avec précision le phénomène, même si le CCNE prédit « un énorme marché potentiel » pour l’industrie pharmaceutique et au-delà : « Il existe déjà des appareils de SETD et de neurofeedback pour utilisation à domicile avec des propositions sur internet de "conseillers en neuroamélioration", » rapporte l’avis, qui assure « qu’il est hautement probable que tout médicament ou technique capable d’améliorer l’état psychique ou les fonctions cognitives verra son utilisation glisser des sujets malades vers les sujets non malades. »
Impossible pour l'heure de mesurer exactement les effets réels de la neuroamélioration sur le fonctionnement cérébral de l’individu non malade, et ses conséquences à moyen terme. L’avis du CCNE montre qu’on nage en pleine incertitude à ce sujet. Quelles seront par exemple les effets sur la santé pour cet étudiant de Harvard qui a déclaré récemment au Washington Post : « en toute honnêteté, je n’ai jamais écrit un article sans prendre de Ritaline » ? Nul n’est capable de le dire. Les experts du CCNE évoquent de possibles accidents consécutifs au manque de sommeil, voire des effets délétères sur le psychisme ou la mémoire, mais sans trancher. Ils alertent en revanche dès à présent sur les risques d’addictions.
Outre-Atlantique, des recos pour les médecins
D’une manière générale, le Comité que préside le Pr Jean-Claude Ameisen se montre préoccupé par les conséquences de la diffusion de ces techniques, non seulement en termes de santé publique, mais aussi au plan social. Il formule la crainte que leur accès renforce les inégalités sociales, faisant naitre une classe de "surhommes" aux capacités décuplées. Pire : le CCNE redoute que des pressions émanant du milieu familial ou professionnel amènent tel jeune ou tel cadre à recourir demain à la neurostimulation pour améliorer ses performances…
On n’en est pas encore à ce point. Mais l’ambition prométhéenne véhiculée par la neuroamélioration préoccupe les « sages » du CCNE. D’autant que la prise de conscience du phénomène est tardive en France. Outre-Atlantique, des recos ont déjà été élaborées à destination des médecins américains par l’AAN (American Academy of Neurology Ethics), proposant une sorte de guide de bonnes pratiques face à une demande de neuro-amélioration biomédicale. D’autres guidelines très restrictives aux USA concernent les enfants.
Sur cette problématique, le Comité d’Ethique recommande que des études observationnelles soient diligentées dans l’Hexagone. Et il estime qu’il est urgent d’informer des médecins qu’il juge très peu au fait de ces sujets ou les futurs praticiens dans le cadre de leurs études. La prudence est aussi conseillée aux chercheurs dans l’interprétation, la communication et l’utilisation des recherches cognitives sur ces techniques. A suivre...
Sérologie sans ordonnance, autotest : des outils efficaces pour améliorer le dépistage du VIH
Cancer colorectal chez les plus de 70 ans : quels bénéfices à une prise en charge gériatrique en périopératoire ?
Un traitement court de 6 ou 9 mois efficace contre la tuberculose multirésistante
Regret post-vasectomie : la vasovasostomie, une alternative à l’AMP