Covid-19 : un même biais expliquerait-il les échecs de médicaments repositionnés ?

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Publié le 25/06/2021
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Crédit photo : SPL/PHANIE

Un même biais permettant d’expliquer l’échec de nombreux essais cliniques de médicaments repositionnés contre le Covid-19 vient-il d’être découvert ? C’est ce que suggère une étude de l’Université de Californie (San Francisco), Novartis et l’Institut Pasteur publiée mardi dans Science. D'après ce travail, l'effet antiviral observé in vitro  avec ces produits n'apparaîtrait en effet pas réel.

« Au cours des 16 derniers mois et dans le contexte de la crise sanitaire due au Covid-19, des milliers de médicaments ont été testés pour un repositionnement afin de lutter contre le SARS-CoV-2 », rappelle l’Institut Pasteur. Si l’activité anti-virale alors manifestée in vitro par un nombre important de composés, à l’instar de l’hydroxychloroquine, de l’azithromycine ou encore de l’amiodarone, a suscité l’engouement de nombreux chercheurs, d’autres sont restés dubitatifs. « Des chimistes de Novartis, en particulier, ont été interpellés par les structures très différentes des principes actifs qui semblaient fonctionner : il était improbable que des molécules si diverses puissent toutes avoir une activité contre un même virus », raconte Marco Vignuzzi, responsable de l’unité Populations virales et pathogenèse à l’Institut Pasteur et co-auteur de l’étude de Science.

Une accumulation de lipides dans les cellules en cause

Les seuls points communs entre ces composés étaient en effet leur caractère amphiphile cationique. « Or, les molécules amphiphiles cationiques commencent à être connues, dans le milieu des études pré-cliniques, pour provoquer une accumulation de phospholipides dans certains organites des cellules en culture », explique le virologue. De plus, le SARS-CoV-2, qui, comme tous les virus, utilise les lipides des cellules pour se répliquer, pourrait justement voir son cycle fortement perturbé par une telle modification du métabolisme des lipides de son hôte. Ainsi les chercheurs ont-ils tenté de déterminer si l’activité antivirale apparente des médicaments repositionnés pouvait être liée à cette phospholipidose.

Pour ce faire, les auteurs ont estimé la capacité d’une vingtaine de molécules – tantôt identifiées comme actives in vitro contre le SARS-CoV-2 ou contre d’autres virus, tantôt connues pour provoquer une phospholipidose sur les cultures de cellules – à provoquer à la fois une accumulation de lipides (décelable en imagerie cellulaire) et une inhibition de la réplication du coronavirus. Plus précisément, les chercheurs ont recherché les concentrations auxquelles chaque molécule pouvait entraîner une phospholipidose ou un effet antiviral.

Forte corrélation entre phospholipidose et activité antivirale

Résultat : « nous avons observé des corrélations très directes entre capacité à provoquer une phospholipidose et activité antivirale », résume Marco Vignuzzi. « La plupart des corrélations étaient élevées – l’activité antivirale n’étant pas simplement survenue à de mêmes gammes de concentrations que la phospholipidose, mais les valeurs de R2 (coefficient de détermination témoignant de la relation linéaire entre deux variables, ndlr), comprises entre 0,51 et 0,94, suggérant également une relation quantitative entre les deux effets », détaille l’étude. Ainsi, la plupart des médicaments repositionnés testés apparemment avec succès n’auraient en fait pas d’activité antivirale réelle, directe, mais seulement un effet antiviral biaisé, indirect, lié à la phospholipidose.

Or, la phospholipidose induite par ces médicaments repositionnés ne peut pas être exploitée. Et ce d’abord parce que « les médicaments testés ont été utilisés chez l’Homme à des concentrations trop faibles pour induire une phospholipidose de façon claire et nette », explique Marco Vignuzzi. Or, une augmentation des posologies pourrait se traduire par une augmentation délétère d’effets indésirables, dont certains pourraient justement être induits par la phospholipidose. « La phospholipidose est toxique, pas seulement pour le virus, mais aussi pour ses cellules-hôtes, soit pour les cellules humaines », insiste le virologue. Aussi, même les quelques médicaments testés par les chercheurs qui n’ont pas montré une corrélation parfaite entre phospholipidose et activité antivirale, et qui de ce fait pourraient réellement s’avérer efficaces contre le SARS-Cov-2, ne pourraient sans doute pas être développés tels quels. « Il faudrait trouver des dérivés de ces composés capables de conserver cette activité antivirale en induisant moins de phospholipidose encore », estime le Dr Vignuzzi.

Quoi qu’il en soit, cette étude plaide, pour les auteurs, en faveur d’une prise en compte plus systématique de la phospholipidose dans les études in vitro. « D’autant plus que la phospholipidose peut être mesurée simplement », affirme le virologue. Pour Marco Vignuzzy, une autre priorité est de conduire également plus de travaux sur la phospholipidose elle-même, puisqu’il s’agit d’un phénomène encore mal compris. « Reste encore à mieux décrire la gamme de molécules capables d’induire une phospholipidose, les niveaux de phospholipidose que peut supporter l’être humain in vivo, ou même le mécanisme de déclenchement de cette accumulation de lipides », estime-t-il.


Source : lequotidiendumedecin.fr