Brève

Dr Philippe Cuq : « Ce qui me rend fou de rage, c'est le manque de matériel ! »

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Publié le 17/03/2020
Masques, tenues de protection, gels hydroalcooliques et sûrement bientôt les respirateurs manquent dans les établissements de santé et pour tous les soignants libéraux en première ligne pour faire face à l'épidémie du Covid-19. Le Dr Philippe Cuq, coprésident du Bloc, et président de l’Union des chirurgiens de France, tire la sonnette d'alarme. Entretien.
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Crédit photo : DR

Vous indiquez dans un communiqué qu'il manque de tout dans les hôpitaux (masques, gels hydroalcooliques, respirateurs). Est-ce toujours le cas depuis l'annonce du président Macron hier soir ?

Oui c’est toujours le cas. Gouverner, c'est prévoir. C'est dramatique, car les soignants en première ligne, dont les médecins libéraux et les infirmières libérales n’ayant pas de matériel, risquent d’être contaminés. De nombreux soignants sont contaminés en Italie, et cela risque d’être le cas en France à cause de manque de matériel. Alors que notre pays est riche et fait partie du G7, il est incapable d'avoir une « réserve matérielle sanitaire ». Nous avons des stocks d'armes et de munitions. Nous pourrions avoir en permanence et pour faire face à ces situations sanitaires des réserves de matériel. Certains industriels chinois produisent un million de masques par jour et peuvent livrer la France en cinq jours. Que faisons-nous ? Depuis un mois nous alertons sur ce risque, n’y a-t-il pas des entreprises françaises capables de produire des masques et des solutions hydroalcooliques ? On nous annonce des livraisons demain et après-demain. Beaucoup d’établissements publics et privés ont aujourd’hui des réserves de deux à trois jours. Beaucoup de professionnels de santé confectionnent eux-mêmes des masques de fortune. Ce manque de matériel me rend fou de rage. On ne peut pas traiter les soignants de la sorte, nous devons protéger les soignants et ainsi protéger les patients.

Avez-vous des contacts avec vos confrères du Grand Est ?

À Mulhouse, il semble qu’ils aient quelques jours de stock simplement. La situation est dramatique dans le Grand Est : les services de réanimation sont saturés. L'hôpital militaire de campagne est une bonne idée. Les établissements et les soignants sont sous tension, cette situation va probablement arriver dans d’autres régions françaises.

Qu'en est-il du dépistage des soignants ?

On est désormais en phase 3 et l’heure n’est plus de savoir quels sont les cas contacts et le dépistage des soignants. Les soignants qui ont des symptômes s’arrêtent et sont alors dépistés, nous avons déjà en France plusieurs soignants contaminés, d’où l’importance de protéger tous les soignants. Plus que leur dépistage, c’est aujourd’hui leur protection qui est capitale.

Au final, quel est votre diagnostic sur la situation ?

Nous avons trois manques : un manque crucial de matériel, de tests biologiques et probablement si nous sommes en phase importante d’épidémie de respirateurs. Nous avons 5 000 lits de réanimation (lits équipés avec un respirateur), il faudra probablement en cas d’afflux massif de patients graves équiper d’autres chambres et d’autres salles en respirateurs. Parallèlement à cette crise sanitaire, nous devons continuer à prendre en charge les autres patients, nous avons choisi de repousser toutes les consultations et les interventions non urgentes afin de libérer des places en soins continus et en réanimation. Probablement que le confinement permettra de diminuer la traumatologie routière, la traumatologie sportive et donc un certain nombre d’urgences. Nous continuerons bien sûr à prendre en charge tous les patients présentant d’autres pathologies urgentes ou semi-urgentes.

Y a-t-il déjà une sélection des malades ?

À Mulhouse, il y a déjà des témoignages de médecins réanimateurs comme en Italie qui sont confrontés à ces situations dramatiques. C’est une réalité que beaucoup ne veulent pas regarder en face. Quand on regarde les chiffres, il y a vraisemblablement des données épidémiologiques que nous ne maîtrisons pas. Par exemple, en Corée les chiffres officiels sont de 8 236 cas avec 75 décès. En Italie, 24 747 cas avec 1 809 décès. Nous sommes inquiets car probablement le Covid-19 tue dix à quinze fois plus que la grippe saisonnière. 

 


Source : lequotidiendumedecin.fr