C'est une querelle médicale et scientifique qui s'envenime et explose au grand jour. Dernier épisode : l'agence régionale de santé (ARS) Bourgogne Franche-Comté a saisi la juridiction ordinale pour infractions au code de déontologie médicale. Le médecin visé par la plainte est le Pr Philippe Humbert, ancien chef de service de dermatologie du CHU de Besançon, auteur de graves accusations contre ses confrères.
48 heures plus tôt, le praticien était déjà entendu par la chambre disciplinaire régionale, accusé de défaut de confraternité par l'Ordre du Doubs et quatre praticiens du CHU. Le Pr Humbert risque un blâme, une interdiction d'exercer temporaire voire la radiation du tableau ordinal. Vendredi dernier enfin, le CHU a décidé de porter plainte pour diffamation contre le praticien.
Prescriptions de chimiothérapies abusives ?
À l’origine de cette situation peu banale, on trouve un conflit ouvert entre un chef de service réputé et une partie de son équipe médicale, conflit qui a dégénéré sur la place publique via la presse locale – le tout sur fond de mauvaises pratiques médicales supposées et de harcèlement moral.
Patron du service de dermatologie pendant 23 ans, le Pr Humbert a démissionné en octobre 2015 pour marquer sa désapprobation des traitements administrés par ses confrères à certains patients souffrant de cancers. Pendant plusieurs mois, il dénonce des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) invalides, des défauts de prescription, des « négligences » et des « maltraitances ». « Des patients m'ont alerté du comportement inhumain de certains praticiens, j'ai donc prévenu l'ARS », rapporte le Pr Humbert au « Quotidien ».
Dans la presse, le praticien accuse l'hôpital, en matière de prise en charge en onco-dermatologie, de privilégier les chimiothérapies à la chirurgie à des fins lucratives et certains médecins (dont des PU-PH et son chef de pôle) de pratiquer des actes de « harcèlement moral caractérisé » envers sa personne et son équipe de recherche. « Je suis victime d'une cabale », dit-il aujourd'hui.
L'hôpital veut rassurer les patients
L'affaire s'intensifie toute la semaine dernière. Le 22 mars, l'agence régionale de santé (ARS) rend les conclusions définitives d'une inspection lancée en octobre 2016, portant sur la pratique médicale et les conditions de fonctionnement du service de dermatologie. Si une première étude (diligentée en novembre 2015) avait conclu à des « défauts » dans l'organisation et le fonctionnement des RCP, cette seconde enquête blanchit le CHU. Deux PU-PH dermatologues – dont un spécialiste en cancérologie dermatologique – ont expertisé 63 dossiers de patients signalés par le Pr Humbert sans déceler de « faits pouvant justifier la gravité des accusations publiques » formulées. « Les rapports démontrent clairement qu'il n'y a pas eu de prescriptions de chimiothérapies injustifiées et abusives », se félicite le CHU, vendredi dernier.
Certaines défaillances présumées sont « soit infondé[e]s soit focalisé[e]s sur des éléments sans incidence sur la prise en charge des patients », affirme l'ARS. « L'écart entre ces conclusions et des accusations d'une extrême gravité interroge sur les réelles intentions de l'accusation », analyse Pierre Pribile. Le directeur de l'ARS est soucieux de « rassurer » les Bisontins, ébranlés par la lecture de témoignages accablants de patients dans la presse locale. La femme de l'un d'eux (décédé depuis) y raconte que son mari aurait ingéré un médicament prescrit dans le cadre d'une chimiothérapie sans en avoir connaissance. Une situation très inhabituelle : « décidée en RCP, une chimiothérapie doit être détaillée par le menu au patient et à sa personne de confiance en consultation d'annonce », explique le Pr Martine Bagot, chef du service de dermatologie de Saint Louis (AP-HP) et membre du Syndicat national des dermatologues-vénéréologues.
Le CHU affirme de son côté n'avoir reçu « à ce jour » aucune plainte de patients de dermatologie ayant trait à des prises en charge inadaptées en chimiothérapie.
Le médiateur a le dossier en main
Cette histoire est loin d'être terminée et chacun affute ses arguments. Le CHU a dévoilé vendredi que, dès mars 2015, 17 médecins et internes de dermatologie s'étaient plaints à la direction du CHU du « comportement » du Pr Humbert, alors chef de service. Une médiation avait alors échoué. Membre de l'INPH, le Syndicat national des praticiens hospitaliers de CHU souligne pour sa part la « souffrance » des personnels médicaux du service de dermatologie (praticiens, internes) « depuis deux ans », face aux graves accusations du Professeur Humbert.
Mais ce dernier, épaulé par des patients, ne désarme pas et veut porter l'affaire devant les tribunaux. Son jugement ordinal est attendu en avril. Édouard Couty, nommé médiateur national pour la prévention des risques psychosociaux, a également un dossier à son nom sur son bureau…
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