Dr Patrick Bouet, président de l’Ordre des médecins : « Qu’on arrête de nous dire "ça ira mieux demain" ! »

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Publié le 02/04/2021

Crédit photo : S.Toubon

Dans un entretien accordé ce vendredi au « Quotidien » – à retrouver en intégralité dans notre prochaine édition hebdomadaire – le Dr Patrick Bouet, président de l’Ordre des médecins (CNOM) critique le dispositif administratif « très lourd » et « très cloisonné » dans la gestion de crise sanitaire et l’approvisionnement des doses. Concernant les soignants, il se prononce ouvertement pour l’obligation vaccinale si la totalité d’entre eux n’est pas vaccinée à terme. Et soutient les praticiens « lanceurs d’alerte » sur le tri des patients. « Celui qui a la responsabilité de ne pas affoler, recadre-t-il, c’est le gestionnaire politique. »

LE QUOTIDIEN : Vous demandiez à Emmanuel Macron un « vrai reconfinement partout où c’est nécessaire ». Avez-vous été entendu ? Les mesures prises sont-elles à la hauteur ?

Dr PATRICK BOUET : Nous avons contribué à faire prendre conscience qu’on ne pouvait pas rester dans la situation des semaines précédentes. Des mesures plus restrictives pour diminuer la circulation du virus ont été prises, mais seront-elles suffisantes ? Nous le verrons dans les semaines à venir. Elles vont en tout cas dans le sens de ce que nous demandions. Jusqu’à ce que la vaccination produise ses effets de protection – et ce ne sera pas avant plusieurs mois – la priorité est de limiter la circulation du virus. D’abord pour sauver des vies, mais aussi parce que pour avoir le nombre de lits de réanimation nécessaires, il faut déprogrammer en dehors de la Covid-19 et cela nous inquiète pour la santé de la population.

Les critiques s’abattent sur la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement. Quel est votre jugement sur cette stratégie ?

Dès le départ, nous pensions qu’il fallait que tout soit fait pour que des vies soient sauvées. Lorsqu’on a 300 personnes qui meurent chaque jour, et que des dizaines de milliers porteront des séquelles très lourdes, on ne peut pas se satisfaire de dire « j’ai bien fait » ou « j’ai eu raison de faire ainsi ». Il faut que nous travaillions tous ensemble ! Or, souvent, les décisions prises sont administratives et administrées.

Le gouvernement aurait été plus apte à gérer cette situation si, à tous les niveaux, il s’était entouré de l’avis des professionnels. C’est un regret depuis le début de la crise. Je ne mets pas en cause les hommes et les femmes de l’administration, mais sa lourdeur au niveau du système de santé et du ministère de la Santé. C’est un handicap à la flexibilité. C’est la critique majeure que nous faisons à l’ensemble du dispositif administratif, très lourd, très cloisonné.

Les médecins libéraux jouent-ils le jeu de cette mobilisation générale et sont-ils suffisamment associés dans les décisions ?

Tous les médecins ont joué le jeu ! Je ne séquence pas la façon dont le corps professionnel a réagi. Les médecins libéraux ont permis à la campagne de vaccination de se développer, ils ont traité les personnes à domicile, notamment les personnes âgées, ils sont entrés dans les EHPAD pour prendre en charge les résidents. Ils ont accompli leur part de responsabilité au même titre que les autres confrères – médecins de santé publique, médecins du travail, médecins scolaires ou médecins hospitaliers.

En revanche, l’ensemble des professionnels n’a pas été suffisamment associé aux décisions. Si nous avions attendu d’être mis au premier rang de l’information par la technostructure du ministère, nous serions encore à attendre les émissions de télé dans lesquelles le gouvernement parle aux Français !

Olivier Véran a acté le retour des « vaccinodromes ». Est-ce une bonne idée ?

Qu’il y ait une volonté de vaccination à grande échelle, c’est tout à fait positif. Cela permettra d’obtenir facilement un grand nombre de vaccinés. Mais nous serons très vigilants à ce que la vaccination de proximité ne soit pas déshabillée pour n’alimenter que les vaccinodromes ! Il faut que la vaccination dans les centres territoriaux, les cabinets médicaux, les officines et à domicile puisse continuer et ne soit pas dépourvue de doses. Ce sont deux lignes qui se complètent et doivent être dotées de façon égale.

De toute façon, un ou deux centres de vaccination ne permettent pas à toute la population d’accéder au vaccin même dans un département comme la Seine-Saint-Denis : si vous êtes à Noisy-le-Grand, aller au Stade de France se faire vacciner n’a rien d’évident.

La première des critiques que nous faisons au gouvernement, c’est la façon dont les doses vaccinales irriguent le territoire. C’est sa responsabilité d’agir de façon claire pour que nous ayons les doses nécessaires, et qu’on arrête de nous dire « ça ira mieux demain ! »

Pharmaciens, vétérinaires, dentistes, pompiers : que pensez-vous de l’élargissement du nombre de vaccinateurs ?

Nous ne sommes pas opposés au fait que d’autres acteurs puissent vacciner. Mais il est fondamental que les centres de vaccination soient sécurisés par la présence de médecins. Il faudra qu’il y ait une présence médicale forte dans les « vaccinodromes » pour assurer la sécurité de la population. Après, nous avons toujours dit que le geste vaccinal, le fait de faire une effraction cutanée pour injecter un produit, pouvait être fait par des acteurs non-médecins, dès lors qu’ils sont sous la responsabilité de médecins. C’est à l’État d’organiser cette sécurité et de former les personnes pour qu’elles vaccinent.

D’ailleurs, la DGS a rappelé que l’ensemble des vaccinateurs doit être en lien direct avec des professionnels et qu’au moindre problème d’indication ou d’injection, ils se mettent en rapport avec un médecin. Nous avons été très exigeants sur ce point.

Le week-end dernier, plusieurs médecins de l’AP-HP ont alerté sur un risque de tri des patients et de médecine de catastrophe. Comprenez-vous ces tribunes alarmistes ?

Des médecins de l’AP-HP se sont exprimés mais on pourrait tout autant parler des difficultés à Lyon, Lille, Metz ou Nancy. Tous les médecins qui travaillent dans les services de réanimation dans les zones de grande tension épidémique sont inquiets. Même à Bordeaux, en Nouvelle-Aquitaine, pourtant peu touchée, des médecins nous ont fait part de leurs inquiétudes. Que des médecins rappellent au gouvernement qu’il y a des problèmes, c’est notre responsabilité !

Et puis, il faut arrêter de croire que les Français sont des idiots. Ils comprennent ce qu’il se passe et voient le danger. Ce n’est pas parce que des médecins sont des lanceurs d’alerte, qu’ils deviendraient coupables d’affoler la population. Celui qui a la responsabilité de ne pas affoler, c’est le gestionnaire politique.

Une proportion minoritaire de médecins refuse toujours de se faire vacciner. L’Ordre avait parlé d’exigence éthique. Pourquoi ne pas être favorable à une obligation légale ?

Nous n’avons jamais dit que nous n’étions pas favorables à une obligation. Mais la première voie doit être celle de la persuasion. En matière de grippe, nous avons même dit il y a quelques années que nous étions pour une obligation. Il est certain que si, dans les faits, les professionnels de santé n’étaient pas vaccinés à 100 %, dans la responsabilité éthique et morale qui est la leur, il faudrait passer par l’obligation vaccinale. Actuellement, nous sommes aux alentours de 70 % de médecins ayant reçu au moins une injection. Nous sommes une profession largement vaccinée, mais elle doit l’être en totalité.

Pour améliorer l’adhésion des soignants à la vaccination, il faut poser de façon très claire les indications des vaccins, ouvrir l’espace de la transparence de ces indications et convaincre l’ensemble des professionnels, comme la population, que la vaccination sauve des vies. Si nous n’arrivons pas à trouver l’adhésion spontanée nécessaire sur l’ensemble des métiers de la santé, il faudra la rendre obligatoire pour que nous ne soyons pas les vecteurs de contamination des patients.

Propos recueillis par Marie Foult et Loan Tranthimy

Source : lequotidiendumedecin.fr