Madame la Ministre de la Santé,
Le pays traverse une tourmente qui rend ma requête bien légère quand l’on sait l’immense défi que le terrorisme nous a posé. Ma peine est immense et j’ose à peine reprendre cette lettre que j’avais commencée avant la tragédie pour expliquer cette grève que nous médecins, avions entamée. La grève est arrêtée, le chagrin et l’incompréhension nous submergent, mais les problèmes demeureront si nous n’en parlons pas ni ne les traitons.
Tout d’abord notre requête : pourquoi ne nous écoutez-vous pas ?
- Soupçonnez-vous que la médecine française soit sourde à son coût alors que sa partie libérale respecte chaque année ses objectifs assignés ?
- Croyez-vous qu’elle soit nantie alors qu’à ce jour, ses honoraires la placent avant-dernière de l’Europe ? Quand la France en est encore la troisième économie.
- Vous agacez-vous de la liberté d’un corps indépendant que vous jugez rebelle alors que ses représentants ont toujours signé vos programmes ?
Le constat : les déserts médicaux, la diminution de la qualité des soins, les déficits permanents du régime d’assurance-maladie et la paupérisation des médecins.
Avant de se désertifier, beaucoup de terres étaient verdoyantes et radieuses. Des vents mauvais finirent par les assécher. Nos campagnes et nos banlieues se résignent doucement à la disparition de leurs soignants et deviennent ainsi des déserts.
Avant de sombrer, beaucoup de civilisations rayonnaient d’un éclat humaniste. Elles déclinèrent puis disparurent. De même notre médecine, naguère qualifiée d’excellente, peine et descend chaque année les marches du classement de l’efficience et de la compétitivité, tout en conservant sa place sur le podium mondial de la cherté.
• Les déficits : antiennes de la Sécurité sociale, insensibles aux remèdes des différents partis politiques qui se sont succédé au ministère de la Santé depuis 40 ans, s’attachant essentiellement à ne pas réévaluer les honoraires médicaux de ville et à comprimer les bénéfices de l’industrie pharmaceutique.
• La paupérisation, plus rampante et dont on parle peu car elle est honteuse, elle s’est glissée doucement sous le voile de la restriction. Sous prétexte d’une situation de crise que les Français seront bientôt les seuls à endurer, elle a été jusqu’à présent tant bien que mal supportée. Mais cette paupérisation que l’on tait, il faudrait la dire. Alors que les honoraires de nos pères caracolaient en tête de l’Europe, c’était bien le temps de l’excellence de la médecine française reconnue par l’OMS et l’époque de l’accès aux soins pour tous. Le sous-paiement favorise la multiplication des actes et la prescription qui les accompagne coûte souvent beaucoup plus cher que la consultation. Ce sous-paiement de l’acte favorise la désertification et diminue le prestige du prestataire. Aujourd’hui comment demander à un médecin d’aller vivre à la campagne s’il ne peut même pas payer les études de ses enfants à la ville ? Et comment exiger de ces courageux médecins de banlieue de faire un métier difficile et parfois à risque, sans contrepartie ?
Votre remède : une loi complexe qui a engendré la crainte des médecins sur de nombreux points et particulièrement sur le TPG : le Tiers Payant Généralisé. Les médecins pensent que la bureaucratie y atteindra un sommet, que la multiplication des actes y sera libre car gratuite, que le payement deviendra aléatoire et sera lié aux erreurs et retards administratifs. Ce paiement sera partagé avec les mutuelles ce qui complexifiera les choses et leur donnera un pouvoir supplémentaire. En résumé ce, TPG fait l’objet d’un rejet total par le corps médical et seule une grève avortée pour des raisons supérieures ne vous a pas permis d’en mesurer l’ampleur.
Point de vue : il faudrait, Madame la Ministre, Messieurs les décideurs, vous souvenir du principe du rasoir d’Occam. Pour résoudre un problème, choisissez la solution la plus simple, coupez au plus court.
Les déserts apparaissent, la compétitivité baisse, les déficits perdurent et les honoraires médicaux diminuent. Tout cela est sans doute lié. Que faire ?
Jusqu’à présent aucun gouvernement n’a réussi à agir sur les trois premiers items qui semblent hors du champ de leur pouvoir, ni ne s’est attardé sur l’aggravation du quatrième alors que là, la décision gouvernementale est possible.
Et si la solution c’était d’augmenter les revenus des médecins pour traiter le reste ?
Certains grands pays européens l’ont prouvé avec, par exemple, un excédent des comptes de la Sécurité sociale allemande alors que les médecins généralistes allemands gagnent 80 % de plus que leur homologues français. Cette demande d’appréciation des honoraires ne se nourrit pas uniquement de raisons d’équité, mais également d’impératifs d’efficience des soins et de gestion des déficits publics.
En conclusion, même si notre cœur est gros de l’horreur qui a frappé la France, il fallait vous dire notre malaise et vous expliquer nos raisons avant que vous ne fassiez voter cette loi, car nous avons abandonné l’arme de la grève. Mais il vous faudra bientôt vous préoccuper de l’avenir de la médecine française pour lui rendre son rang européen et ainsi améliorer les comptes de la santé qui participent grandement au déficit de son économie.
Madame la Ministre, Messieurs les décideurs, souvenez-vous qu’on n’enrichit pas un pays en appauvrissant ses élites.
Veuillez croire Madame en mes vœux de réussite les meilleurs et en mon profond chagrin.
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