Les Drs Philippe Cuq et Xavier Gouyou-Beauchamps, responsables de l'Union des chirurgiens de France (UCDF), et Jérôme Marty, président de l'UFML, poursuivis par la députée socialiste Catherine Lemorton qui les accuse de diffamation, ont plaidé la relaxe lors de l'audience qui s’est tenue mardi 18 avril au tribunal de grande instance (TGI) de Toulouse. Le verdict a été mis en délibéré jusqu’au 20 juin prochain.
Près de trois ans se sont écoulés depuis l’émission de RMC-Info. Ce moment de radio est à l’origine de la plainte en diffamation publique déposée par Catherine Lemorton, députée PS de Haute Garonne et présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, contre les trois leaders syndicaux.
On rembobine. Le 19 juin 2014, alors que Marisol Touraine présente sa loi santé, dans un contexte politique tendu, la députée répond à un animateur radio qui indique que « les médecins n’ont jamais laissé mourir personne » : « Dans les hôpitaux publics, je peux vous affirmer que oui. Je n’en dirai pas plus… » Cette déclaration met en émoi les médecins libéraux et leurs représentants. En réaction, les Drs Cuq et Gouyou-Beauchamps postent une vidéo parodiant la députée en Raymonde Bidochon, le célèbre personnage de Binet. « Catherine Lemorton estime que les médecins hospitaliers sont les seuls à ne pas laisser mourir les gens, décline une voix off. Elle laisse entendre que les médecins libéraux, eux, les laissent mourir. » Un édito est mis en ligne sur le site de l’UFML, doublé d’un tweet du Dr Marty. Les médecins sont invités à porter plainte contre la députée, pharmacienne d’officine devant le Conseil de l’Ordre de la profession. Face à l'ampleur que prend la polémique, Catherine Lemorton précise ses propos dans un article publié sur notre site (édition du 27 juin 2014), avant de porter plainte contre les trois hommes pour diffamation publique.
Après de multiples reports, l’audience a finalement eu lieu mardi en l’absence de la plaignante, mobilisée ce jour-là aux côtés du candidat à la présidentielle Benoît Hamon, en meeting à Toulouse.
Habitués des tribunes enflammées, agitateurs du monde médical, adeptes des coups d’éclats ou passés maîtres dans l’art des vidéos décalées, les Drs Cuq, Marty et Gouyou-Beauchamps se tiennent en rang serré sur le banc des accusés, visiblement impressionnés par la solennité des lieux et… de l’enjeu. Si elle est avérée, la diffamation publique à l’encontre d’un élu local ou d’un parlementaire peut en effet leur valoir 45 000 euros d’amende.
« Dr Marty, avez-vous des regrets ? »
Le généraliste Jérôme Marty s'avance le premier à la barre. La présidente lui demande de décliner identité, situation personnelle, professionnelle, revenus mensuels moyens. « Avez-vous quelque chose à indiquer… des regrets à formuler ? », demande-t-elle au syndicaliste. « Non », répond le médecin.
Il est immédiatement interpellé par Maître Jean-Marc Lacoste. L’avocat de Catherine Lemorton veut comprendre pourquoi le médecin n’a pas tenu compte du « démenti » de la parlementaire. « Car elle n’a jamais démenti au cours de l’émission alors que le Dr Didier Legeais lui a plusieurs fois demandé, j’avais donc l’impression qu’elle portait atteinte à la profession », réplique Jérôme Marty. Il dépeint le contexte heurté de l’époque, en pleine opposition à la loi de santé : « Voilà pourquoi la profession est montée en ligne et pourquoi nous avons encore moins bien perçu ces propos… »
Appelé à témoigner, le Dr Didier Legeais, chirurgien urologue, qui était intervenu dans l'émission, enfonce le clou. « Je me suis senti mis en cause au nom des gens que je représentais. »
6 000 vues pour la vidéo parodique
C’est ensuite au tour des Drs Cuq et Gouyou-Beauchamps, de venir à la barre.
Déjà condamné pour diffamation en 2013, le Dr Cuq se lance : « Je voulais que cette histoire se règle sur un plan déontologique, c’est pourquoi j’ai appelé l’ordre des pharmaciens. »
Son confrère Xavier Gouyou-Beauchamps, fait état d’un abondant courrier reçu par les syndicats de lecteurs outrés par les propos de la parlementaire.
« N’avez-vous pas le sentiment que vous avez vous-même alerté votre profession avec votre vidéo parodique, qui a été vue plus de 6 000 fois sur Internet, quand la vidéo de l’émission n’a été vue que 1000 fois ? », lui demande alors Maître Lacoste.
« Cette vidéo n’est pas la première, j’ai à ce jour 300 vidéos en ligne sur Dailymotion et je n’ai jamais fait l’objet d’aucune plainte », rétorque le chirurgien.
Le refus de soins au cœur des débats
Les refus de soins ont été au cœur des débats, deux experts de ces questions étant appelés à témoigner par l’accusation. « À la question juridique, le refus de soin existe-t-il, la réponse est oui, déclare Vincent Beaugrand, en qualité d’ancien directeur du fonds CMU. (…) Il concerne entre 17 et 40 % des soins en secteur II, très peu le secteur I. »
Christian Saout, représentant des usagers évoque un rapport de 2010 sur le refus de soins. « Votre intervention est dans le sens du débat, se félicite alors Maitre Lacoste (…) Jamais je n’ai entendu parler de refus de soins dans le public. » L'avocat s’emploie ensuite à démontrer que les écrits des médecins avaient tous les atours de la diffamation (absence de conditionnel, volonté d’animosité, faits insuffisamment précis…).
Agacé, Maitre Douchez intervient : « Christian Saout, je ne vois pas bien ce que vous faites là ? Quel rapport avec notre affaire ? Étiez-vous présent lors de l’émission de radio du 19 juin 2014 ? » « Non », répond-il avant de regagner son siège.
Avec son confrère Maître Musset (défenseur de l’UCDF), tous deux plaident alors la preuve de bonne foi et la relaxe de leurs clients tandis que le ministère public s’en remet à la décision du tribunal. « Quand on ne veut pas s’exposer à la critique, on ne fait pas de politique ! » conclut l’avocat de l’UFML. Après trois heures et demi de débat, l'affaire est renvoyée en délibéré au 20 juin prochain. À cette date, la députée de Haute-Garonne aura remis son mandat en jeu.
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