Souvenez-vous : 2014 et 2015, deux terribles années au cours desquelles le monde découvrait que la fièvre hémorragique Ebola pouvait provoquer une épidémie mortelle d'une telle ampleur. Le formidable effort de recherche lancé à l'époque avait accouché des premiers vaccins contre ce filovirus.
Une réussite qui a relancé les recherches sur les vaccins contre les fièvres hémorragiques. Huit ans après, ces dernières portent leurs fruits avec une accumulation de publications depuis le début de l'année. « Avant 2014, il y avait très peu d'intérêt pour les filovirus, se souvient Aurélie Ploquin, membre du centre de recherche vaccinale de l'Institut national américain des allergies et des maladies infectieuses (NIAD). Ebola a réveillé les scientifiques. Et maintenant, ça y est : on développe les outils pour se préparer à de nouvelles pandémies de fièvres hémorragiques et être prêts à les employer en cas de nouvelles émergences virales. »
Ainsi, en mars dernier, les chercheurs de la société autrichienne Themis Bioscience ont publié les premières données de phase 1, sur 60 volontaires, d'un vaccin contre la fièvre de Lassa, dit MV-LASV, mis au point par l'unité de biologie des infections virales émergentes de l'institut Pasteur de Lyon (1). Le vaccin est fondé sur une plateforme de virus réplicatif de la rougeole. Deux dosages ont été expérimentés, 20 000 et 100 000 unités, selon un schéma en deux injections, puis comparés à un placebo.
La réponse des lymphocytes T « n'était pas très bonne, reconnaît Sylvain Baize qui a dirigé l'étude. Mais il y a une réponse soutenue ! Un an après l'immunisation, il y a toujours des réponses significatives. » Bien que n'ayant jamais été confrontés aux virus Lassa, certains sujets ont exprimé des peptides T caractéristiques des patients ayant été confrontés au virus. « Nous n'avons pas détecté d'anticorps neutralisants, mais cela ne nous a pas étonnés, dans la mesure où l'on n'en trouve pas non plus chez les patients infectés qui parviennent à contrôler la maladie », ajoute le chercheur.
Premier vaccin efficace contre Marburg en vue
En janvier dernier, ce sont les Instituts nationaux américains de la santé (NIH) qui ont publié les premiers résultats de phase 1 d'un vaccin contre la fièvre de Marburg (2). Le vaccin a pour vecteur un adénovirus de chimpanzé de type 3 (cAd3) non réplicatif porteur de la glycoprotéine du virus Marburg. Inoculés en une dose unique chez 40 adultes sains âgés de 18 à 50 ans, deux dosages ont été expérimentés : 1010 et 1011 particules.
Les chercheurs ont détecté des anticorps spécifiques à la glycoprotéine de Marburg chez 95 % des volontaires. Au bout de 48 semaines, ces concentrations restaient significatives, en comparaison à la situation avant la vaccination. Le vaccin était bien toléré.
Ces résultats ne permettent toutefois pas d'évaluer la réponse neutralisante induite par le vaccin, car cette dernière « n'a pas encore été recherchée », prévient Sylvain Baize. « L'équipe a mesuré la réponse humorale, c’est-à-dire les taux d'immunoglobulines (IgG), mais en ce qui concerne la réponse cellulaire, elle a regardé la réponse spécifique à la glycoprotéine du virus Marburg », poursuit-il.
Le virus de la rougeole comme vecteur
Il ne s'agit pas du premier candidat vaccin contre Marburg à atteindre l'étape de la phase 1. En 2015, un vaccin ADN (VRC-MARDNA025-00-VP) avait été testé avec succès sur 20 participants par les NIH, puis de nouveau en, association avec son équivalent destiné à Ebola (VRC-EBODNA023-00-VP), sur 108 participants en Ouganda (3). Mais son développement avait dû être abandonné, faute de résultats suffisamment probants.
La multiplication des candidats illustre la difficulté à trouver un consensus sur les vecteurs à employer. Contre Ebola, le virus de la stomatite vésiculaire (VSV) est utilisé dans le vaccin Ervebo de MSD, et l'adénovirus de type 26 sert de base au vaccin Zabdeno de Janssen contre l'Ebolavirus Zaïre.
L'équipe de Sylvain Baize a, quant à elle, misé sur le virus de la rougeole, un vecteur issu des laboratoires de l'Institut Pasteur déjà utilisé dans un vaccin contre le chikungunya. « Les vecteurs vivants sont a priori les plus immunogènes, poursuit le chercheur. Les vecteurs adénoviraux non réplicatifs, tels qu'utilisés par les NIH pour leur candidat contre Marburg, sont moins immunogènes que le VSV. Les chercheurs ont dû injecter de fortes doses de vecteur pour avoir une réaction satisfaisante : entre 10 et 100 milliards de particules, contre 1 à 10 millions pour le VSV ou entre 10 000 et 100 000 avec le vecteur rougeole. »
Le recours au vecteur rougeole aurait pu poser un autre problème : ne risquait-il pas d'être ciblé par la réponse immunitaire des personnes vaccinées contre la rougeole ? Cela pourrait empêcher de développer une réponse immunitaire contre la glycoprotéine portée par le vecteur. Selon Sylvain Baize, ce ne fut pas le cas lors des études de phases 1 et 2. « En revanche, ce fut un gros problème pour l'adénovirus ! Le premier candidat vaccin contre Ebola, dont les résultats ont été publiés en 2002, était fondé sur l'adénovirus de type 5, précise-t-il. Très efficace contre le primate chez qui l'adénovirus de type 5 ne circule pas, il n'a pas fonctionné chez l'homme, en particulier en Afrique ou ce type de virus est très présent. »
C'est la raison pour laquelle les chercheurs des NIH se sont ensuite tournés vers l'adénovirus de chimpanzé. « L'avantage de ce sérotype-là, c'est qu'il augmente les chances d'avoir un vaccin efficace chez l'homme, au vu de sa très faible séroprévalence humaine qui n'empêchera pas le vaccin de fonctionner », confirme Aurélie Ploquin, chargée de l’analyse des réponses immunitaires humorales de l'étude de phase 1.
Des questions en suspens
Un autre facteur important est le choix des protéines présentées au système immunitaire. « Le service minimum, c'est de mettre les précurseurs des glycoprotéines. On peut ensuite ajouter la nucléoprotéine ou d'autres antigènes, explique Sylvain Baize. C'est d'ailleurs un autre défaut des adénovirus : il n'est pas possible de leur fixer plus d'un antigène à la fois. » Reste que pour Aurélie Ploquin, « les résultats d'études ne sont pas unanimes concernant la pertinence de présenter plusieurs antigènes en même temps ».
Un seul antigène peut même parfois suffire à provoquer la production d'un anticorps neutralisant plusieurs virus : en janvier 2023, les chercheurs du centre international de recherche en infectiologie de Lyon ont publié les données positives chez le singe du vaccin Mopevac, un vaccin multivalent capable de neutraliser plusieurs arénavirus provoquant des fièvres hémorragiques en Amérique du Sud (4).
Toutes les études publiées jusqu'à présent ne permettent pas de savoir si la réponse immunitaire mesurée sera véritablement protectrice. « On peut s'inspirer des résultats chez le singe, regarder les critères caractéristiques chez les singes vaccinés et bien protégés », explique Aurélie Ploquin, qui rappelle les travaux menés au NIH sur cette question. « Ils avaient permis de déterminer un seuil d'anticorps au-delà duquel le singe a une forte probabilité de survie, mais ce corrélat immunitaire n'explique pas forcément quel est le mécanisme responsable de la survie des animaux, poursuit-elle. De plus, il n'est pas sûr que ce seuil puisse être directement appliqué chez l'homme. »
(1) L. Tschismarov et al, The Lancet, 2023, vol 401, n°10384, p1267-1276
(2) M. Hammer et al, The Lancet, 2023, vol 401, n°10373, p 294 -302
(3) U. Sarwar et al, Journal of Infectious Diseases, février 2015, vol 211, p 549-557
(4) S. Reynard et al, Nature Microbiology, 2023. doi.org/10.1038/s41564-022-01281-y
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