La démarche est encore hésitante, les mains sont encore crispées sur le déambulateur, mais tout de même : Gert Yan réussit devant les caméras des journalistes ce qu'il a longtemps pensé être impossible. Campé sur ses deux jambes qui lui répondent fidèlement, il marche.
Sévèrement atteint à la moelle épinière à la suite d'une chute de vélo, ce patient néerlandais avait totalement perdu l'usage de ses membres inférieurs. Opéré le 28 juillet 2021 au CHU de Grenoble, il a bénéficié de la somme des innovations technologiques accumulées au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à l'université de Lausanne en Suisse, et dans les laboratoires du CEA de Grenoble. Son cas est décrit dans « Nature » (1).
En un an, des progrès considérables
Les scientifiques ont d'abord découvert qu'en employant un système d'électrostimulation de la moelle épinière initialement conçu pour lutter contre les douleurs chroniques, il était possible de rétablir la locomotion. La preuve de concept est faite chez le rat en 2018 puis, en février 2022, les chercheurs suisses coordonnés par Grégoire Courtine de l'École polytechnique de Lausanne publient une série de résultats obtenus chez trois patients humains (2).
Depuis, l'équipe franco-suisse n'a pas chômé. Elle a travaillé avec le fabricant de dispositifs médicaux Onward Medical pour produire un électrostimulateur, dont l'aspect évoque fortement celui d'un pacemaker, spécifique à l'indication du réapprentissage de la marche. Les électrodes sont capables d'entrer en contact avec 5 cm de moelle épinière.
Ensuite, les scientifiques se sont associés au centre de recherche Clinatec (affilié au CEA et au CHU Grenoble Alpes) pour exploiter un nouveau type d'interface cerveau-machine mis au point par les équipes du Pr Alim-Louis Benabid, connu pour avoir développé la stimulation cérébrale profonde dans la maladie de Parkinson. Le dispositif repose sur deux implants, disposés de part et d'autre du crâne. Chacun dispose de 54 électrodes qui restent à la surface du cortex et est installé dans la boîte crânienne après une craniotomie de 5 cm de diamètre.
« Je n'aurais pas trop osé cette expérience avec des électrodes corticales plus anciennes, avoue la Pr Jocelyne Bloch, neurochirurgienne au CHUV. J'en ai déjà retirées au cours de ma carrière et je connais les lésions qu'elles laissent derrière elles. C'est ce nouveau type d'implant qui m'a décidée. » L'implant grenoblois avait déjà été expérimenté pour rétablir la marche chez des singes médullolésés en 2016 (3).
Une phase d'adaptation
Chez l'homme, c'est désormais chose faite avec Gert Yan. « Nous avons compris comment dialoguer avec les racines dorsales de sa moelle épinière », explique Grégoire Courtine, l'emblématique chercheur suisse et co-auteur de l'étude.
Une fois la double implantation réalisée, les chercheurs ont fait travailler le patient sur un programme de simulation, en connectant ses deux implants cérébraux à un ordinateur. Le but était d'apprendre à décoder plus précisément le langage particulier du cortex moteur de Gert Yan quand il pense à marcher. En deux jours, ce dernier contrôlait parfaitement son avatar virtuel. « Il fallait aussi s'assurer que le cortex moteur était toujours fonctionnel, plusieurs années après l'accident, ajoute Grégoire Courtine. En outre, le schéma de stimulation doit être adapté à chaque patient, car toutes les moelles épinières ne se ressemblent pas. »
La rééducation proprement dite commence immédiatement. Comparés aux anciens systèmes qui consistaient à activer manuellement l'appareil de stimulation de la moelle épinière, le nouvel ensemble se caractérise par une démarche beaucoup moins robotique. « Le patient peut doser la flexion et l'extension des jambes et même s'arrêter au milieu d'un pas pour revenir en arrière », détaille Grégoire Courtine.
Lors d'une démonstration faite à la presse, Gert Yan a exhibé le fruit de 40 sessions d'entraînement. Il est désormais capable de marcher tout en parlant ou de monter un escalier, un Graal que les dispositifs précédents ne permettaient pas d'atteindre. Seule contrainte : l'obligation de regarder ses pieds pour contrôler ce qu'ils font, faute de somesthésie. L'ordinateur chargé d'assurer le rôle de « pont digital » entre le cerveau et le bas de la colonne vertébrale contient, en outre, un réseau de neurones artificiels capable d'améliorer progressivement sa compréhension des signaux émis par les implants cérébraux.
Autre avantage du nouveau dispositif : sa portabilité qui autorise Gert Yan à poursuivre ses exercices dans un centre de rééducation aux Pays-Bas, près de chez lui, voire dans un simple parc. La marche reste un exercice difficile pour le patient : « Il peut marcher pendant une demi-heure avant de faire une pause », estime la Pr Bloch.
Le membre supérieur en ligne de mire
D'ici à la fin de l'année, un essai pivot sera lancé pour valider la nouvelle technique de restauration de la marche associant les technologies de Clinatec, du CHUV et d'Onward. Il devrait durer au moins cinq ans.
Dans le même temps, un nouveau travail va être lancé par la même collaboration franco-suisse, cette fois-ci avec l'ambitieux objectif de restaurer le mouvement volontaire des membres supérieurs. « Nous avons eu les autorisations des comités d'éthique lundi 22 mai, et nous avons déjà rencontré les premiers patients potentiellement intéressés », assure Grégoire Courtine.
(1) D. Lewis et al, Nature, mai 2023. doi.org/10.1038/d41586-023-01728-0
(2) A. Rowald et al, Nat Med, 2022. doi: 10.1038/s41591-021-01663-5
(3) M. Capogrosso et al, Nature, 2016. doi: 10.1038/nature20118
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