NOS OUTILS ACTUELS ne permettent pas le repérage des démences parmi les personnes âgées analphabètes, illettrées ou issues d’une autre culture. Quant aux tests non verbaux, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ils ne sont pas mieux adaptés, car ils sont très dépendants de leur contexte culturel. De plus les capacités d’abstraction des individus sont très liées à leur niveau d’étude. Fort de ce constat, il s’est avéré nécessaire d’élaborer de nouveaux tests de mémoire épisodique, mémoire qui reçoit et stocke les informations concernant des événements personnellement vécus, et qui est altérée très précocement dans la maladie d’Alzheimer.
Les tests de mémoire épisodique consistent classiquement à faire apprendre une série de mots ou d’images à la personne testée, avant de lui demander plus tard de les rappeler. Le choix des mots ou des images est important car ils ne doivent pas être trop fréquents, ni trop rares pour ne pas influer sur les résultats. Lorsqu’il s’agit d’images, il faut en outre réaliser des prétests pour s’assurer qu’elles sont facilement reconnues de tous.
Deux tests de mémoire épisodique sur images – le test des neuf images le test de mémoire associative – ont ainsi été spécifiquement élaborés et validés au sein d’une population multiculturelle de différents niveaux d’éducation (absence de scolarisation jusqu’à études supérieures). Cela a pu se faire dans le cadre de consultations gratuites proposées aux personnes âgées (près de 600 d’entre elles y ont participé) dans le département de Seine-Saint-Denis.
Le test des neuf images consiste à apprendre le nom et la position de neuf images disposées sur une planche. L’examinateur demande au sujet de dénommer successivement chacune des neuf images en réponse au nom de la catégorie correspondante (animal, fruit, mode de transport, etc.). Ensuite, lors de la phase de rappel immédiat (qui donne une mesure de l’encodage), il masque la planche et demande à la personne ainsi testée de lui rappeler chacune des neuf images et en donnant le nom de la catégorie correspondante. En cas de non-rappel d’un ou plusieurs item(s), l’examinateur montre de nouveau la planche, demande le nom des items manquants (dénomination sur image), masque la planche et redemande le nom des items manquants (rappel immédiat). Le nombre d’essais pour encoder correctement les 9 items, les erreurs et les intrusions sont ainsi recueillis. Une épreuve de rappel libre est ensuite effectuée. Pour les images non rappelées, un rappel indicé est effectué en donnant le nom de la catégorie des items manquants. Une épreuve de rappel spatial est ensuite effectuée, l’examinateur montrant les mêmes images tout en demandant la position de chacune d’entre elles sur la planche d’origine. Les scores recueillis portent sur le nombre d’images rappelées spontanément, le nombre d’images rappelées au moyen des indices catégoriels, le nombre de localisations spatiales correctes, le nombre d’intrusions et de persévérations.
Le test de mémoire associative, quant à lui, repose sur la présentation de dix planches comportant chacune deux images ayant un lien fonctionnel entre elles (par exemple, l’arbre et l’oiseau). Une fois dénommé chacun des éléments des dix couples d’images, l’examinateur montre une seule des deux images et demande de rappeler l’image manquante qui était associée. A chaque réponse, qu’elle soit bonne ou mauvaise, il montre de nouveau la planche initiale comportant les deux images. En cas d’absence de rappel d’un ou plusieurs item(s) à la fin du premier rappel, les dix planches d’images comportant une seule des deux images sont de nouveau montrées dans le même ordre et l’examinateur demande pour chacune de rappeler l’image manquante. Si un ou plusieurs items ne sont pas restitués à la fin du deuxième rappel, la même procédure est répétée. Si le patient rappelle correctement les 10 images au premier ou au deuxième rappel, la procédure est arrêtée et 10 points sont attribués d’office au second et troisième rappel. Le score total correspond à la somme des trois rappels. Le score total maximum est donc de 30 points. Les erreurs, les intrusions et les persévérations sont notées. « Contrairement à la personne âgée qui retrouve l’information qu’elle n’arrive pas à rappeler spontanément en s’aidant de la catégorie à laquelle elle appartient, la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer qui a oublié un nom est incapable de le retrouver lorsqu’on lui donne une aide (ici la catégorie sémantique) » précise le Pr Anne-Marie Ergis.
À chaque population, sa version des tests.
Après que ces tests ont été mis au point, l’étape suivante consiste à élaborer et à valider différentes versions pour les populations d’Asie, d’Afrique du Nord ou d’Afrique noire, en collaboration avec des chercheurs locaux et à définir les seuils pathologiques en fonction des différentes populations étudiées. Des collaborations avec différents pays (notamment l’Algérie et le Maroc) ont débuté et cette étape indispensable au dépistage de la maladie d’Alzheimer dans les populations immigrées et/ou de faible niveau d’études, est en cours de validation.
Le cas très particulier des Amérindiens intéresse également le Pr Ergis. « Avant de chercher à mettre au point des tests, il a fallu réaliser un prétravail afin de comprendre de quelle manière ils classifient les objets (vivants et non vivants) du monde qui les entoure, et donc de déterminer les catégories sémantiques qu’ils utilisent, ce afin de mettre au point une épreuve de mémoire avec rappel indicé par catégories. L’aide d’une anthropologue a été précieuse car il existe de grandes différences entre notre classement et le leur. Par exemple, les Amérindiens classent une grenouille spécifique avec les félins, car une légende raconte que certaines nuits cette grenouille se transforme en jaguar ! De même, ils ne classent pas les guêpes en tant qu’insectes, mais en fonction de la forme et de la couleur de leur nid. Autre différence : alors que les personnes âgées en Occident identifient facilement les dessins détaillés en couleurs, les Amérindiens reconnaissent beaucoup mieux les items qui leur sont présentés sous la forme de photos, car c’est ce qui correspond le mieux à ce qu’ils voient dans la réalité. D’ailleurs, de manière générale, les personnes de faible niveau d’étude, quelle que soit leur culture, identifient plus facilement les photos que les dessins en couleur, et les dessins en couleur que les dessins au trait en noir et blanc, car ces derniers requièrent des capacités d’abstraction qu’ils ne maîtrisent pas parfaitement. Enfin, chez les Amérindiens, l’orientation dans l’espace prend une dimension beaucoup plus importante que chez nous et il est donc important d’en tenir compte dans les tests. La prochaine étape va être la validation des tests ainsi conçus, auprès des personnes âgées dans différents villages », explique le Pr Ergis qui part en juillet en Amazonie, pour suivre cet objectif.
D’après un entretien avec le Pr Anne-Marie Ergis, professeur de neuropsychologie, Institut de psychologie, université Paris Descartes (Paris V).
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