Les médecins aiment à penser que leur poids électoral dépasse de très loin leur poids démographique. Et les politiques ont tendance à les croire ! « Il est difficile de faire voter une loi contre 70 000 médecins qui voient 30 patients par jour », expliquait déjà le chancelier allemand Konrad Adenauer.
Mais pour le sociologue Frédéric Pierru, chargé de recherche en sociologie au CNRS, l’influence des praticiens sur les choix que font leurs patients dans les isoloirs relève largement du « mythe ». Ce spécialiste des systèmes de santé s’est donc appliqué à déconstruire la légende lors de la présentation de la revue « Les Tribunes de la Santé », organisée à Paris. Le dernier numéro rassemble les conférences organisées par la Chaire santé de Sciences-Po tout au long de l’année 2014 autour du thème des conflits en santé. Un sujet « un peu prémonitoire », sourit le rédacteur en chef de la revue, Didier Tabuteau. La conclusion du cycle revenait à Frédéric Pierru, chargé de faire le lien entre le social et le politique : des médecins en colère sont-ils capables de faire tomber un gouvernement ?
Le traumatisme Juppé
Nombre de personnalités politiques le croient fermement et gardent encore le souvenir cuisant des élections législatives de 1997. « Le plan Juppé, c’est LE traumatisme », confirme le chercheur. À droite, il se trouve également des responsables pour attribuer la défaite de Nicolas Sarkozy en 2012 à la forte contestation médicale de la loi HPST [Hôpital, patients, santé et territoires].
Mais pour Frédéric Pierru, ces hypothèses ne résistent pas à l’analyse : « La santé reste un enjeu secondaire des luttes politiques et l’on peut dès lors soupçonner [...] qu’elle ne structure que faiblement le choix des électeurs », écrit-il dans « Les Tribunes de la Santé ». Même si les milliers de cabinets libéraux (et les centaines de milliers de contacts quotidiens) offrent autant de caisses de résonance au malaise professionnel.
Les médecins et leurs patients, des intérêts divergents
D’ailleurs, assène le chercheur, pourquoi et comment les médecins influenceraient-ils des électeurs dont les sondages montrent, étude après étude, qu’ils ont des aspirations souvent contraires aux revendications des libéraux ? Le tiers payant généralisé est un bon exemple : la réforme hérisse depuis des mois la quasi-totalité du corps médical libéral mais reçoit toujours le soutien très majoritaire des Français.
Surtout, dans un monde où les praticiens expliquent eux-mêmes qu’ils sont moins écoutés et respectés par leurs patients, comment pourraient-ils se prévaloir d’un ascendant électoral direct au sein de leur cabinet ?
Le sociologue concède que les médecins ont pu avoir une véritable influence il y a quelques décennies, lorsque la France était un régime parlementaire de notables. Les bancs de l’Assemblée étaient alors peuplés de praticiens, et ceux-ci étaient des figures sociales majeures. Mais aujourd’hui, même s’ils restent très actifs sur les sujets de santé, « les députés-médecins sont plus députés que médecins », affirme le chercheur.
Dernier coup de canif porté au mythe. Le corps médical est profondément désuni et se divise le long de multiples lignes de fractures : modes d’exercice, générations, sexe, spécialités… Cette balkanisation peut brouiller les messages. Aucune raison en tout cas de prêter à la profession une influence électorale univoque.
Même mort, le mythe bouge encore
Mais attention, analyse Frédéric Pierru. Le mythe peut avoir des conséquences bien réelles. Le seul fait que des personnes croient à l’influence électorale des médecins leur donne un pouvoir certain « même s’il s’agit avant tout d’un pouvoir de nuisance ». La croyance agit en amont de la prise de décision politique, peut inciter les responsables à l’autocensure, à différer des réformes, et même à enterrer des dossiers.
Reste à savoir si ce facteur bloquant existe toujours. La loi Touraine, déjà votée par les députés en procédure accélérée, est peut-être l’acte de décès du fameux mythe.
Yannick Neuder lance un plan de lutte contre la désinformation en santé
Dès 60 ans, la perte de l’odorat est associée à une hausse de la mortalité
Troubles du neurodéveloppement : les outils diagnostiques à intégrer en pratique
Santé mentale des jeunes : du mieux pour le repérage mais de nouveaux facteurs de risque