« ALORS QUE les résultats sanitaires obtenus en France sont d’un très bon niveau par rapport aux pays qui nous entourent, les inégalités sociales de santé ne montrent aucune tendance à disparaître », avertit dans l’éditorial Thierry Lang, coordinateur scientifique de ce numéro thématique du BEH. Handicap, exposition professionnelle, espérance de vie en bonne santé, mortalité, obésité, ou tabagisme, toutes les études rassemblées dans la publication de l’Institut de veille sanitaire parviennent à la même conclusion : une forte opposition entre l’état de santé des plus favorisés en terme de catégorie sociale et niveau d’études et celui, beaucoup plus dégradé, des ouvriers.
Gradient social
Les ouvriers ont 3 à 4 fois plus de risques de juger leur état de santé altéré que les cadres et ont la perspective, à 50 ans, de bénéficier de 14 années supplémentaires de bonne santé, contre 23 pour les catégories supérieures, c’est ce qui ressort de deux enquêtes sur les inégalités sociales de santé en France. Dans les deux cas, un gradient social oppose fortement les cadres et professions intermédiaires aux employés et ouvriers. Par exemple, l’enquête Handicap-Santé de 2008 constate que, quel que soit l’indicateur retenu, la hiérarchie des catégories sociales demeure identique : un ouvrier a 2 fois plus de risques qu’un cadre de déclarer une limitation fonctionnelle, des difficultés pour les soins personnels ou pour marcher, une addiction au tabac ou de devenir obèse. Même constat pour l’étude sur les inégalités d’espérance de vie en bonne santé de l’Institut national d’études démographiques. Si les Français meurent à plus de 80 ans, « les inégalités sociales (...) révèlent une "double peine" pour les ouvriers, qui vivent davantage d’années d’incapacité que les cadres pour une espérance de vie plus courte ».
Le tabagisme incarne bien la relation entre catégorie socioprofessionnelle et état de santé. Si la consommation de tabac des parents influence celle des descendants, le milieu social d’origine a également un rôle significatif. « Le risque d’être fumeur est plus élevé chez les personnes dont le père était ouvrier plutôt que cadre ou exerçait une profession intermédiaire ». Le niveau d’études de l’enfant, souvent corrélé à son milieu social, est également déterminant.
Environnement
Autre approche, qui dépasse les facteurs strictement socioprofessionnels : l’environnement (qui intègre le revenu médian des ménages, le niveau d’études, le pourcentage d’ouvriers, le taux de chômage…). Grâce à un indice de « désavantage social », l’INSERM met en lumière l’association entre cadre de vie et mortalité, avec l’avantage de territorialiser les inégalités. À l’échelle régionale, on constate ainsi une forte corrélation entre l’indice et la mortalité, avec un gradient Sud-Nord. Plus intéressant, on observe à l’échelle cantonale la pertinence de la distinction rural/urbain dans l’état de santé : « Les cantons situés au centre de chaque département, majoritairement urbains, sont peu désavantagés et s’opposent aux cantons périphériques plus désavantagés. »
Cette approche, plus fine, permet ainsi d’explorer d’autres facteurs sur des exemples précis, comme l’obésité. L’étude de la cohorte SIRS de plus de 3 000 individus en agglomération parisienne montre des « associations fortes et significatives entre le risque d’obésité et le niveau de revenus moyen des ménages et la proportion d’habitants avec un niveau d’études supérieur », mais aussi avec la distance moyenne aux magasins alimentaires de détail les plus proches, la proportion d’établissements de restauration rapide parmi les restaurants, le nombre de commerces de voisinage ou encore les possibilités offertes par le quartier pour se promener. Une fois encore, les résultats sont sans surprise : 13,6 % des personnes interrogées résidant dans des quartiers sensibles ou ouvriers sont obèses, contre seulement 6,6 % de celles habitant des zones plus favorisées.
Face à ce constat univoque d’une forte corrélation entre état de santé et statut et environnement social, Thierry Lang en appelle à la mobilisation des politiques. « L’amélioration de l’état de santé moyen au cœur de nos politiques publiques de santé ne peut suffire et notre système de santé doit se fixer un deuxième objectif explicite, dont l’atteinte ne découle pas mécaniquement du premier : celui de réduire les inégalités sociales de santé », écrit-il dans son éditorial. Il souligne l’urgente nécessité, pour éviter un creusement des inégalités dans un contexte de crise, des interventions intersectorielles, puisque « les déterminants des inégalités sociales de santé sont hors du système sanitaire ». « Il existe des causes fondamentales qui facilitent tel ou tel comportement ou affectent directement la santé et sont accessibles à des politiques publiques de réduction des inégalités sociales de santé. »
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