LE QUOTIDIEN : Quelle est la genèse de l'appel à la grève de ce lundi ?
Dr YVES REBUFAT : Cela remonte à la fin du printemps. À Brest, à Versailles et à l'AP-HP, nous avions déposé plusieurs préavis de grève sur la question du temps de travail des PH. Le SNPHAR-E avait déjà dans ses cartons l'idée d'un mouvement national. Au début de l'été, l'actualité (attentats de Nice, Euro 2016, etc.) n'était pas propice à une telle mobilisation. La rentrée offrait plus de créneaux médiatiques libres. Pourquoi le 26 septembre ? Parce que prolonger le grand congrès des anesthésistes (SFAR) – qui s'est tenu en fin de semaine dernière à Paris – par une grève nous a semblé de bon ton.
Dr MAX-ANDRE DOPPIA : En novembre 2015, on s'est mis autour de la table pour discuter de la déclinaison réglementaire du rapport Le Menn sur l'attractivité des carrières médicales à l'hôpital. Le calendrier était dense. Très dense. En mai 2016, toujours rien. Les cinq centrales se sont alors unies pour manifester leur agacement face à l'inertie du ministère, alors que les mesures d'urgences sont clairement identifiées [voir encadré, NDLR] ! La seule nouveauté pour les PH… est de pouvoir travailler jusqu'à 72 ans. Quel décalage avec le réel. Ça a mis le feu aux poudres ! C'est pourquoi Avenir hospitalier et la CPH soutiennent le SNPHAR-E et les autres syndicats de spécialités [représentant des biologistes, psychiatres, obstétriciens…] qui ont appelé à la grève aujourd'hui. Mais cette première journée d'action n'est que le premier tour d'un mouvement plus vaste.
Action Praticiens hôpital (qui réunit Avenir hospitalier et la CPH) a demandé aux médecins grévistes de se signaler. Quelles sont les remontées du terrain ?
M-A.D. : Chiffrer réellement le nombre de PH grévistes est toujours délicat, devoir de réserve oblige. Les témoignages montrent en tout cas que le malaise à l'hôpital touche toutes les spécialités médicales, tous les âges et toutes les régions. Un président de commission médicale d'établissement nous a écrit qu'il avait l'intention de mobiliser les 30 PH de son hôpital. Un autre service de huit PH sera 100 % gréviste. Une autre médecin en congés nous a demandé comment être reconnue gréviste. Même un PU-PH nous a écrit !
J'attire votre attention sur le paradoxe de ce mouvement. Certains établissements qui ne fonctionnent qu'avec des intérimaires ne seront pas comptabilisés sur la carte des hôpitaux grévistes alors que ce sont justement dans ces établissements que les conditions de travail sont les plus précaires. Les hôpitaux qui emploient beaucoup de médecins à diplôme étranger n'apparaîtront pas davantage dans les chiffres officiels du mouvement, ces praticiens au statut fragile ayant parfois des difficultés à se montrer solidaires de la grève. Gare à ne pas discréditer notre action sur l'autel de la statistique, qui, à l'hôpital, ne reflète jamais plus qu'une partie de la réalité.
Quelle est la mesure d'attractivité la plus urgente à concrétiser ?
Y.R. : La pénurie médicale fait de plus en plus de ravages. On constate entre 26 et 30 % de vacance sur les postes de PH. En anesthésie, spécialité très perturbée par une démographie chancelante, dimensionner l'équipe médicale est un enjeu majeur. Or, sans mesure du temps de travail, la taille de l'équipe est définie sans objectivité, au doigt mouillé ou selon le charisme du chef de service dans l'hôpital. Les urgentistes ont obtenu fin 2014 un nouveau décompte de leur temps de travail [limité à 48 heures hebdomadaires, dont 39 heures de travail clinique posté, NDLR]. Toutes les spécialités doivent pouvoir accéder à ce type d'organisation.
On demande donc en priorité de la clarté sur l'organisation du temps de travail des médecins. Le système actuel fait le jeu des établissements amateurs de dumping. Par exemple, un hôpital breton recrutait la semaine dernière un PH pour 40 heures de travail avec un salaire négociable. Cette distorsion de concurrence est insupportable.
Vous réclamez la revalorisation de l'indemnité d'engagement de service public et de la prime multisites. Quels montants seraient satisfaisants ?
M-A.D. : Difficile à dire sans une connaissance claire des arbitrages de Bercy. Les centrales syndicales ne savent rien, alors imaginez les PH de terrain. Nous réclamons des mesures simples et lisibles par tous. Je rappelle le principe de la prime d'engagement de service public : un bonus contre un renoncement à pratiquer une activité libérale à l'hôpital pendant trois ans. Depuis sa création, en 2000, elle n'a jamais été revalorisée. Certes, l'argent n'est pas tout, mais ce n'est pas rien non plus. Et le gros des PH y a droit [10 % des praticiens, soit 4 500 personnes, ont une activité libérale, NDLR].
La prochaine journée de grève, le 12 octobre, est soutenue par les cinq centrales. Jusqu'où êtes-vous prêts à aller ?
Y.R. : Ce soir, nous allons déposer un nouveau préavis de grève pour demain, et ainsi de suite, tous les jours jusqu'à vendredi. Nous reposerons un préavis le lundi suivant s'il le faut, et ce jusqu'au 12 octobre. Le SNPHAR-E est un agitateur professionnel ! Nous avons l'habitude de faire cavalier seul avant d'être rejoints par d'autres syndicats. Nous sommes déterminés à aller jusqu'au bout.
M-A.D. : Quand on discute pendant des années avec les pouvoirs publics pour finalement repartir du ministère les mains vides, il est temps de changer de registre. Nous avons un message pour la ministre de la Santé : cessons les causeries !
Nous voulons entrer dans une phase de négociation sur les points qui fâchent. C'est une question de respect des partenaires sociaux et des praticiens hospitaliers dans leur ensemble, qui ne supportent plus leurs conditions de travail. Nos téléphones sont allumés. À la ministre de décrocher le sien.
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