L’hécatombe en Méditerrannée

L’Europe se ressaisit, mais...

Publié le 23/04/2015
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La mort au bout du voyage

La mort au bout du voyage
Crédit photo : AFP

On ne regarde pas les gens se noyer sans leur porter secours. Ce principe, qui trouve d’ailleurs une traduction dans la loi, les Européens ont tenté de l’ignorer pendant plusieurs années. L’Italie généreuse avait réagi aux souffrances des migrants en mettant en place un système de secours, Mare nostrum, qui a fait ses preuves. Elle fut rappelée à l’ordre par les dirigeants européens qui lui ont fait remarquer que, en agissant sous l’emprise de l’émotion, elle donnait une prime à l’immigration clandestine et serait vite débordée par l’afflux massif des arrivants. Mare nostrum fut donc remplacé par Triton, opération européenne trois fois moins financée, qui est notoirement insuffisante et n’a pas ralenti le flux migratoire.

Angela Merkel ayant indiqué qu’elle était « bouleversée » par ce qui se passe en Méditerranée, et François Hollande ayant reconnu que la situation devenait intenable, les Européens se réunissent aujourd’hui pour traiter le problème avec un minimum d’efficacité. Les pays membres de l’UE ne se rendent pas au sommet avec la même attitude. Ceux du Nord ont tendance à laisser ceux du Sud se débrouiller. Tous savent qu’au delà de la compassion il y a surtout un effort financier à fournir. Aucun n’ignore que l’Italie, déjà très endettée et appauvrie par le chômage, ne peut pas payer seule les conséquences d’un phénomène géopolitique qui menace le continent tout entier.

Les Européens doivent commencer par mettre un terme au débat sur les facteurs historiques de cette crise. La question de savoir s’il a été judicieux d’éliminer Mouammar Kadhafi, l’ancien dictateur libyen, ne se pose plus. Si rien n’avait été fait alors, il aurait fait tuer des milliers de Libyens. Une vie valant une vie, l’Europe est renvoyée à un problème humanitaire identique ou comparable. Il fallait intervenir alors, il fallait peut-être rester en Libye pour y créer les institutions nécessaires, mais ce qui a été fait ou pas fait n’est plus le sujet. Ce qui est vrai en revanche, c’est qu’aucun d’entre nous ne peut fermer les yeux devant une telle tragédie et que, si une entité géographique regroupant 500 millions d’hommes et de femmes ne sait pas gérer l’immigration de quelque milliers de malheureux, l’Union européenne ne sert à rien ou n’existe pas.

Quatre mesures.

Ce qui signifie que nous devons trouver la juste mesure entre les secours qu’il faut impérativement apporter aux migrants et le contrôle d’un flux qui puise ses forces dans l’épouvantable misère, l’incroyable insécurité qui règnent en Afrique et au Proche-Orient. Premièrement, l’accueil des réfugiés (comment ne pas accorder l’asile politique à des personnes en danger de mort ?) doit être accompagné par la répression des passeurs, esclavagistes des temps modernes qui traitent leurs « clients » avec le plus grand cynisme, leur font payer des sommes indues et les envoient sciemment à la mort. Deuxièmement, une flotte européenne doit être constituée qui interceptera les rafiots avant qu’ils ne coulent, récupérera les passagers, les soignera, et traitera au cas par cas le sort des clandestins. Troisièmement, il faut admettre que l’Europe ne pourra refouler qu’un nombre très peu élevé de migrants. Il faudra donc créer des infrastructures nouvelles pour les accueillir dans des pays divers, et pas seulement ceux du sud, puis les insérer dans les sociétés d’accueil. Enfin, il va bien falloir se demander s’il est possible de laisser la Libye pourrir dans son chaos sans réagir. Si elle avait un gouvernement, on pourrait créer sur place des conditions d’accueil acceptables, ce qui permettrait d’envisager l’arrivée des migrants en Europe selon un calendrier supportable.

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du Médecin: 9406