Lorsqu’il revient de ses tournées médicales en pays amérindien wayana, le Dr Pignoux a toujours quelques mèches de cheveux dans ses valises. Leur destination finale est bordelaise. Là-bas, un laboratoire du CNRS détermine le taux de concentration de mercure des personnes prélevées. Ils s’avèrent souvent supérieurs au seuil de toxicité fixé par l’OMS à 10 µgr de mercure par gramme de cheveu.
En Guyane française, la pollution mercurielle est connue depuis les années 1990. Si les habitants du littoral guyanais ne semblent pas particulièrement contaminés, des études ont montré que les personnes les plus touchées vivent sur l’amont des fleuves Maroni et Oyapock.
Orpaillage illégal
En Guyane, le mercure a deux sources. À un mercure naturellement présent dans les sols guyanais s’ajoute un apport exogène du aux activités d’orpaillage, qui ont connu une recrudescence ces vingt dernières années. Elles déversent du mercure métallique dans la nature et participent aussi à la libération du mercure naturellement présent en remuant les sols.
La principale forme toxique du mercure est le méthylmercure (MeHg), ou mercure organique, qui naît de la transformation du mercure sous l’action de bactéries. Le méthylmercure s’accumule dans la chaîne alimentaire jusqu’à des concentrations dangereuses pour l’homme.
La consommation de poissons est la principale source de méthylmercure chez l’homme. Or, la pêche constitue la base de l’alimentation des Amérindiens vivant dans des villages isolés. En 2005, en pays wayana, 83 % des adultes et 54 % des enfants avaient des taux de concentration mercurielle supérieurs au seuil de l’OMS.
Malgré ce constat inquiétant, l’intervention des pouvoirs publics peine à se mettre en place. Pour l’ARS, même si le problème est à prendre au sérieux, la situation reste sous contrôle. « Nous n’avons pas constater de handicap particulier, directement imputable au mercure. Mais il est difficile de suivre une population au fin fond de l’Amazonie », reconnaît le Dr Schemann, médecin-inspecteur de l’ARS de Guyane, en charge du dossier mercure.
Prévention chez les femmes enceintes
En 2012, une convention a été signée entre l’ARS, le Conseil général et le CNRS de Bordeaux pour mener une étude sur la foetotoxicité du mercure chez les femmes enceintes. Le foetus - tout comme l’enfant allaité - étant particulièrement sensible au mercure, il s’agit pour le Dr Schemman de « cibler la prévention auprès des femmes enceintes ou qui vont être enceintes, afin de les sensibiliser à diminuer leur absorption de poissons contaminés ». C’est dans ce cadre que le Dr Pignoux, responsable scientifique de cette étude, opère des prélèvements capillaires. « L’idéal, c’est de pouvoir effectuer des analyses en pré-conceptionnel, avant la grossesse. La femme a ainsi le temps de modifier son alimentation si les résultats sont mauvais », explique-t-il.
Aliments contaminés
Une étude récente a permis de déterminer les espèces de poissons contaminés et non contaminés. « Dans la majorité des cas, les taux diminuent : signe que les femmes font attention », constate le médecin.
Mais suivre ces recommandations est difficile. Au village de Pidima, une patiente avait un taux de concentration de mercure alarmant de 50 µgr/gr. Enceinte, elle a réussi à le faire chuter à 18,7 µgr/gr grâce au suivi régulier de l’équipe du Dr Pignoux et à un changement drastique de son alimentation. Mais après l’accouchement il est remonté à 28 µgr/gr où il stagne aujourd’hui. « Je n’y arrive pas. Nous ne trouvons pas toujours les poissons recommandés, alors quand je n’ai pas le choix, oui, je mange du piraye », reconnaît-elle, évoquant un poisson carnivore contaminé.
Avec la hausse de la population amérindienne, la sédentarisation des villages et la concurrence alimentaire menée par les milliers d’orpailleurs clandestins travaillant dans la forêt alentour, la pression sur les ressources halieutiques s’accroît. « Au village de Kayodé, nous n’avons pas l’électricité, hormis quelques groupes électrogènes. Beaucoup de personnes ne peuvent pas congéler la nourriture », explique Michel, père d’un petit garçon de quatre ans.
Pour le Dr Pignoux, « ils sont les victimes de cette activité illégale non maîtrisée, d’autant plus que les taux recueillis s’accroissent régulièrement depuis près de 15 ans ». Pourtant, ce suivi et la prévention qui l’accompagne sont les seules mesures prises à l’heure actuelle. Elles viennent d’être élargies au fleuve Oyapock.
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